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Les batailles perdues des prophètes de l'Apocalypse

Lors de sa sortie aux États-Unis, le film de R. Emmerich, s'inspirant de la prophétie transmise par les Mayas dont le calendrier prendrait fin le 21 décembre 2012, a créé un petit mouvement de panique qui a obligé la NASA a publier un ferme démenti sur Internet. Décidément, ce monde dont on prévoit la disparition depuis des millénaires semble coriace ! Des Assyriens, en passant par Savonarole ou Nostradamus, et jusqu'à nos meilleurs affabulateurs contemporains (y compris papes, mathématiciens, astronomes, égyptologues et créateurs de mode mal éclairés) s'y sont tous cassés les dents. Apocalypse, Armageddon ou déluge, le scénario de la fin du monde semble prendre un peu l'eau.

1. Première sommation des Assyriens
La plus ancienne prédication apocalyptique du monde nous a été transmise par le biais d'une tablette d'argile assyrienne datée de 2800 avant notre ère et actuellement propriété du musée municipal d'Istanbul. Une inscription terrifiante y serait gravée, dénonçant le népotisme, la corruption, l'orgueil démesuré des hommes et l'insubordination de leurs enfants. Tous ces éléments seraient les signes annonciateurs de l'imminente fin du monde.
Il suffit de regarder autour de soi pour constater que notre bonne vieille planète est toujours là. Par ailleurs, en dépit des vices qui semblaient les affliger, les Assyriens sont parvenus à créer, quatre siècles plus tard, un empire prospère. Le règne d'Assourbanipal (668-627 av. J.-C) marque l'apogée de la puissance assyrienne, dont l'influence s'étend jusqu'aux territoires actuels de la Syrie, la Turquie, l'Iran et l'Irak. En 614 av. J.-C, les Babyloniens et les Mèdes s'emparent d'Assour, puis de Ninive en 612 avant de mettre fin à l'empire en 609 av. J.-C. Dix-huit siècles d'ultimatum: ce n'est pas si mal, même selon les standards du monde antique !

2. Les Croisés contre-attaquent
Le pape Innocent III (1160-1216), soucieux de renforcer la puissance du Saint-siège, eût l'idée d'exalter ses troupes grâce à un scénario apocalyptique bien ficelé. L'émergence du monde islamique devint le symbole annonciateur du règne de l'Antécrist. Le retour du Christ serait annoncé par une victoire des Croisés sur le sultanat ayyoubide d’Égypte et la reconquête des territoires en Terre Sainte. La venue du faux prophète Mahomet marquerait le début du décompte des 666 années précédant la fin du monde, selon les Révélations de Saint-Jean. L'apocalypse était donc prévu pour l'année 1284. En 1291, en effet, la conquête d'Acre par les Mamelouks marque la fin du royaume latin de Jérusalem et de la présence occidentale en Terre Sainte. A part ça, notre belle planète semble être demeurée intacte.

3. Boticcelli s'affole
La Renaissance, âge d'or de l'art et de la connaissance, est aussi une période marquée par une résurgence des prophéties apocalyptiques. En effet, comme l'explique David Nirenberg, professeur d'histoire médiévale à l'Université de Chicago, les découvertes astronomiques se succédant conduisent à une remise en cause du calendrier Julien. Le passage au calendrier Grégorien sera finalement imposé par le pape Grégoire III, le 4 octobre 1582. Par ailleurs, les Européens ont été touchés par une série de calamités, parmi lesquelles la chute de Constantinople, le 29 mai 1453, qui marque la fin de l’empire byzantin et une ère d'expansion pour l’Empire Ottoman. Ces éléments favorisent un nouvel engouement pour la numérologie apocalyptique qui influence même les Beaux-Arts. L'exemple le plus fameux du Cinquecento est l'énigmatique œuvre du maître italien, Sandro Boticelli (1445-1510): La Nativité Mystique. Les historiens de l'art pensent que le thème a été influencé par les sermons du moine dominicain Jérôme Savonarole (1452-1498), connu pour ses réformes religieuses, ses prêches effrayants et son bûcher des vanités où disparurent de nombreux livres et œuvres d’art. L'inscription en grec tout en haut du tableau a été traduite ainsi : Moi, Sandro, j'ai peint ce tableau à la fin de l'an 1500, au milieu des troubles de l'Italie, à la moitié du temps après le temps accordé au onzième chapitre de Saint Jean, dans le second Malheur de l'apocalypse, lorsque le Diable fût libéré pour trois ans et demi. Ensuite, il sera enchaîné dans le douzième chapitre et jeté à bas comme dans ce tableau. Cette inscription situe donc la date de l'apocalypse en l'an 1504.

4. Stöffler surenchérit
Johannes Stöffler (1452-1531), qui enseigne les mathématiques à l'Université de Tübingen, est l'auteur du fameux Calendarium Romanum Magnum, un manuel consacré à la révision du calendrier Julien et dont on sait qu'il passionna Nicolas Copernic (1473-1543). Avant cela, l'astronome allemand publie un almanach (Almanach nova plurimis annis venturis inserentia, Ulm 1499) dans lequel il prédit une immense inondation lors de la conjonction du 20 février 1524. Sa prophétie est si bien entendue que des centaines de brochures apparaissent dans toute l'Europe et que les constructeurs de bateaux voient leurs ventes crever le plafond. Un noble allemand, le comte von Iggleheim, construit même une Arche de Noé à trois étages. Or, l'année 1524 fut une année de sécheresse et, le jour dit, la terre ne fut arrosée que d'une petite pluie. Une foule s'était rendue sur les berges du Rhin afin de se réfugier dans l'arche de von Iggleheim et le rassemblement tourna au pugilat. Des centaines de personnes furent tués et le comte lapidé. Stöffler, quant à lui, succomba à une épidémie de peste en 1531.

5. Le triomphe de Davenport
Le 19 mai 1780, les cieux de la Nouvelle-Angleterre et du Canada se couvrirent de ténèbres entraînant un fort mouvement de panique. Un témoin oculaire décrit ainsi les évènements du Dark Day (Journée Noire) : » Ces ténèbres s'étendirent très loin. On les observa jusqu'à Falmouth, à l'est, et jusqu'à l'extrémité du Connecticut, à l'ouest; au sud, jusque sur les côtes de la mer, et au nord, aussi loin que s'étendaient les colonies américaines. » (Dr Wm Gordon, Hist. of the Rise,Progress, and Estab. of the Indep. of the U.S.A., p. 57.). On sait aujourd'hui, grâce à une étude réalisée par des chercheurs de l'Université du Missouri, que le phénomène aurait été engendré par de gigantesques feux embrasant spontanément la forêt canadienne. Mais au 18ème siècle, les Américains ont bien cru que le Jour du Jugement était arrivé : « Le docteur Nathanael Whittaker, pasteur de l'église du Tabernacle, à Salem, y présida des services religieux; au cours d'un sermon, il soutint que ces ténèbres étaient surnaturelles. Des congrégations se réunirent en maints endroits... Partout les prédicateurs choisirent des textes bibliques paraissant indiquer un accomplissement prophétique. » (The Essex Antiquarian, Salem, Mass., Avril 1899, vol. III, number 4, p. 53, 54.). Parmi ces prophètes improvisés, le politicien Abraham Davenport (1715-1789) est celui qui se distingue le plus. Il a été immortalisé grâce à un poème de John Greenleaf Whittier publié dans la revue Atlantic Monthly en 1866

4. "Mère Shipton " et les patriarches à la rescousse
En 1862, le libraire britannique Charles Hindley fait paraître un livre de prophéties attribué à "Mother Shipton". Il s'agirait d'une réédition d'un ouvrage intitulé The Life and Death of Mother Shipton (Vie et mort de Mère Shipton) publié par Richard Head en 1684. Les premières références aux prédications de la prophétesse remontent à un pamphlet de 1641 dans lequel elle prévoit différents événements concernant des personnalités célèbres dont le Cardinal de Wolsey. Ses prophéties ont fait l'objet de nombreuses publications au cours des 17ème, 18ème et 19ème siècles. L'une, parue en 1797, nous apprend que Mother Shipton est née en 1488 et que son nom de baptême est Ursula Southiel (Sowthiel ou Southhill). Elle serait morte en 1561. Samuel Pepys lui-même en avait eu vent puisqu'il note dans son célèbre journal que la sorcière avait eu une vision du Grand Incendie de Londres de 1666. Parmi les nombreuses prédications qui lui sont attribuées, l'une annoncerait la fin du monde pour l'an 1881. En dépit d'un démenti anonyme publié dans le Harper Magazine, il semblerait que les Anglais aient pris ce présage très au sérieux. Dans un article publié en 1911, l'Encyclopaedia Britannica stipule que, le jour fatidique, de nombreuses personnes abandonnèrent leurs maisons et se réfugièrent dans les Églises où ils passèrent la nuit à prier.
L'astronome de la cour d'Écosse, Charles Piazzi Smyth (1819-1900) partageait cette idée selon laquelle le monde disparaîtrait en 1881. Selon ses théories, les grandes pyramides n'auraient pas été construites par les Anciens Égyptiens mais par les patriarches de l'Ancien Testament comme Noah. Leurs bras auraient été guidé par Dieu en personne et les monuments du plateau de Gizeh cacheraient des indices essentiels parmi lesquels le calcul du Jour du Jugement.

6. Échec de la Comète de Halley
Pendant des siècles, l'apparition de la Comète de Halley (tous les 76 ans) a été considérée comme un signe de mauvaise augure. La veille du 19 mai 1910, l'arrivée imminente de la comète a provoqué une véritable hystérie collective en Europe et aux États-Unis. Celle-ci a été en partie initiée à cause d'un communiqué de l'observatoire de Chicago, datant du mois de février et signalant qu'un gaz toxique avait été repéré dans la queue de la Comète. L'astronome français Camille Flammarion (1842-1925) surenchérissait en indiquant que la terre se trouvait en plein sur la trajectoire de la comète empoisonnée et que le désastre pourrait entraîner l'extinction de toute forme de vie. Les ventes de masques et de capsules volantes à oxygène ont explosé, notamment à Rome et ce, en dépit des efforts des scientifiques pour rassurer le public et d'une intervention du pape Pie X (1835-1914). Comme nous pouvons le constater un siècle plus tard, la catastrophe n'eut pas lieu et ainsi que l'annonçait inutilement le Chicago Tribune “We’re Still Here.” (Nous sommes toujours là).

Source : Smithsonian Magazine






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