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Joseph Haydn et les chasseurs de têtes de morts

Au 19ème siècle, avec l'évolution des sciences médicales, il n'y a pas que les anatomistes qui soient tributaires du trafic de cadavres (cf Anatomistes et resurrectionnistes). Les tenants de la phrénologie, avides d'étudier les méandres des crânes humains, sont réduits aux mêmes exactions. Le problème étant de se procurer des sujets d'étude intéressants, à savoir de personnalités qui se sont génialement illustrées dans leurs domaines. Des compositeurs renommés tels qu'Haydn, Beethoven ou Mozart ont fait les frais de cet étrange fascination pour les têtes de morts, de même que le peindre Goya.

Joseph Haydn, meurt paisiblement dans son lit, à l'age de 77 ans, le 31 mai 1809. A l'extérieur, la guerre fait rage et les troupes napoléoniennes occupent Vienne. L'empereur a néanmoins posté des gardes devant la porte du compositeur autrichien afin de s'assurer que son repos éternel ne sera pas troublé. Un officier français vient même lui rendre honneur en entonnant un air de sa création. Bref, rien ne permet de prédire les évènements qui vont suivre les funérailles de Joseph Haydn en l'église d'Hundsturm et l'épopée rocambolesque de son crâne.
Le début du 19ème siècle marque l'âge d'or de la phrénologie, une nouvelle science qui prétend mesurer l'intelligence et le caractère d'un individu en examinant la taille ainsi que l'emplacement des bosses de sa tête. Les médecins qui s'intéressent à cette discipline collectionnent donc les crânes humains et tentent, en particulier, de mettre la main sur ceux des personnalités imminentes, tels que les philosophes ou les artistes de génie. C'est pourquoi, après la mort de Joseph Haydn, deux hommes parviennent à soudoyer le fossoyeur et à s'emparer de la tête du compositeur. Il s'agit de Joseph Carl Rosenbaum (Karl Rosenbaum), le secrétaire de la famille princière des Esterházy, et de Johann Nepomuk Peter, le gouverneur des prisons de Basse-Autriche (Niederösterreich). Rosenbaum connait bien Haydn puisque celui-ci a joué un rôle important dans son mariage avec la soprano Therese Gassmann. Par ailleurs, Rosenbaum n'a jamais caché sa fascination pour la Phrénologie ni son désir d'étudier le crâne de son ami. D'ailleurs, comme il ne veut pas bâcler le travail le moment venu, il décide de s'entraîner un peu avant.
Elizabeth Roose, une actrice célèbre qui est en tournée à Vienne, meurt tragiquement en couche, en octobre 1808. Rosenbaum et Peter n'ont pas spécialement envisagé de voler sa tête mais ils décident de saisir cette opportunité. Le vol de cadavres étant courant à l'époque, les deux hommes n'ont aucun mal à soudoyer le fossoyeur du cimetière qui les laisse procéder discrètement à l'exhumation du corps. Les complices se rendent ensuite chez le docteur Weiss qui est chargé de nettoyer le crâne. Le praticien gratte la peau et les muscles, évide le cerveau, et plonge les ossements dans la chaux vive. L'expérience n'est pas une réussite totale. Les anatomistes amateurs sont surpris par l'odeur atroce qui se dégage du crâne pendant l'opération de nettoyage. Par ailleurs, une trop longue immersion dans la chaux vive, a fragilisé les os du crâne. Rosenbaum et Peter réalisent donc, qu'au moment opportun, il leur faudra se tourner vers un expert.

Joseph Haydn décède finalement moins d'un an après l'expérience Roose. Cette fois, les néphrologues en herbe font appel au docteur Eckhart et à son équipe de spécialistes de l'hôpital Général de Vienne. Rosenbaum et Peter exultent: le travail est impeccable. Johann Nepomuk Peter déclare que le squelette est bien pourvu d'une bosse de la musique Le crâne est placé dans un magnifique écrin noir avec une vitre de verre à l'avant et surmonté d'une lyre en or. Il reste en leur possession pendant plus d'une décennie.
En 1820, Nicolas II Esterházy (l'ancien patron de Rosenbaum) décide d'honorer la promesse faite à Joseph Haydn et de déplacer la sépulture du compositeur à Eisenstadt, le berceau de la famille princière. Évidement, lors de l'exhumation du corps, les protagonistes s'aperçoivent que la tête du défunt a disparu. Le prince fait appel aux services de la police qui ne tarde pas à remonter la piste jusqu'à Peter. Celui-ci prétend que feu, le docteur Eckhart, lui a confié le crâne quelques années plus tôt sans lui en révéler la provenance. Rosenbaum est interrogé à son tour et confirme qu'il ignorait l'acquisition frauduleuse du squelette. Par ailleurs, la police découvre que le crâne saisi chez Peter n'est pas celui du grand compositeur mais d'un jeune homme inconnu. Le prince Nicolas, fort embarrassé par la mauvaise presse faite autour de cette affaire, décide de s'arranger lui-même avec son ancien employé. Un pot de vin substantiel règle le problème et Rosenbaum fournit le crâne d'un homme dont l'age correspond à celui Joseph Haydn. C'est ce spécimen qui vient donc rejoindre les ossements du compositeur à Eisenstadt.
Pendant la perquisition de la police, Rosenbaum avait caché le véritable crâne sous un matelas et demandé à son épouse (la fameuse cantatrice) de s'allonger dessus. Il savait que les agents ne demanderaient jamais à une dame de sortir de son lit. Peu avant sa mort, il fait don du crâne à son complice avec l'espoir qui le confiera à la Société des Amis de la Musique. Peter ignore les derniers vœux de son ami et la tête d'Haydn poursuit son rocambolesque périple. Elle passe entre les mains du docteur Karl Haller, qui l'offre à son mentor, le Baron Carl von Rokitansky (Karel Rokitansky). A la fin de la décennie 1890, le crâne est finalement donné à Société des Amis de la Musique. Il faut encore attendre jusqu'en 1954 pour que le crâne du compositeur autrichien atteigne son ultime destination à Eisenstadt.

Dans un ouvrage intitulé Cranioklepty: Grave Robbing and the Search for Genius (Cranio-kleptomanie: la profanation des tombes et la recherche du génie), Colin Dickey évoque encore le cas du génial élève de Joseph Haydn, Ludwig van Beethoven, dont le crâne a subi de semblables outrages. Pour commencer, les médecins chargés d'examiner le corps en 1827, bâchent l'autopsie, brisent le crâne et en subtilisent plusieurs fragments. En 1863, lors d'une restauration de sa tombe entreprise par la Société des Amis de la Musique, l'un des admirateurs de Beethoven, un certain Breuning, s'empare des restes pour les conserver à son chevet. D'autres pièces du puzzle ont été volées par Romeo Seligmann, un autre mélomane. Celui-ci les transmet à son fils, Albert Seligmann qui meurt peu de temps après la seconde guerre mondiale. Les os passent ensuite entre les mains de son neveau (qui succombe à la demence en 1980) pour finir dans le musée de l'Ira F. Brilliant Center for Beethoven Studies. En 2010, enfin, d'autres fragments du crâne sont réapparus lors d'une vente aux enchères chez Christie’s. Le propriétaire, Paul Kaufmann est un homme d'affaires californien qui en a hérité de sa famille. L'un de ses ancêtres avait, en effet, participé à l'examen du squelette de Beethoven en 1863.
Colin Dickey rapporte encore le cas de Wolfgang Amadeus Mozart, dont les restes supposés ont été exhumés de leur tombeau, transmis successivement entre quatre paires de mains différentes avant d'aboutir au Mozarteum de l'Université de Salzbourg en Autriche, en 1902. Néanmoins une analyse d'ADN, réalisée en 2002, n'a pas permi de conclure avec certitude qu'il s'agit bien du crâne du compositeur.
On peut enfin mentionner l'histoire du crâne de Francisco Goya, mort en 1828 et inhumé dans le cimetière des Chartreux à Bordeaux. En 1899, après que le gouvernement espagnol aît demandé le rapatriement du grand peintre, le consul fait parvenir un télégramme aux autorités françaises: « squelette de Goya sans tête. Expliquez, SVP ». La réponse est pour le moins laconique « Envoyé Goya, avec ou sans tête ». En réalité, les Français ont trouvé et retourné deux corps.


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