Cabinet de curiosités (+ PLUS)

Joyeux Noël, Camarade! Un sapin soviétique

Les dictateurs ont toujours développé une aversion spontanée pour le père Noël et tenté de le convertir à leurs doctrines. L'un dernier, à peu près à la même époque, nous avons vu comment les nazis ont essayé de se débarrasser sans succès du gros barbu vêtu de rouge, avant de le rhabiller à la mode germanique (cf Guirlandes et svastikas). Aujourd'hui, nous passons de l'autre coté de l'ancien rideau de fer pour voir comment les soviétiques, eux, s'y sont pris avec Ded Moroz (Grand-père Gel), le père Noël russe, et son costume bleu traditionnel.

Ded Maroz est un descendant des anciens dieux slaves : Pozvizd (le dieu du vent), Zimnik (celui de l'hiver) et le terrifiant Korochun (celui du gel, associé aux ténèbres). Cette généalogie ne le prédisposait pas à devenir un gentil et généreux vieillard. Bien au contraire, puisqu’il commença sa carrière comme voleurs d'enfants. Ils les jetaient dans son grand sac et rançonnait les parents désespérés, qui lui portaient des cadeaux pour récupérer leurs progénitures. Avec le temps, et sous l'influence des traditions religieuses, Grand-père Gel a fini par changer de comportement et adopté les traits de son collègue Sinterklaas, le Saint-Nicolas néerlandais.


Au 19ème siècle, il adopte Snégourotchka, la fille des neiges, un personnage de conte de fée popularisé grâce à la pièce d' Alexandre Ostrovski (représentée pour la première fois au Théâtre Bolchoï, à Moscou, le 23 mai 1873), sur une musique de Piotr Ilitch Tchaïkovski. L'opéra fut repris en 1881 par Nikolai Rimsky-Korsakov. Ded Maroz est alors équipée d'une Troïka, un grand traîneau tiré par un attelage de trois chevaux. A la fin du 19ème siècle, il est devenu aussi célèbre en Russie que la Babushka (grand-mère en russe) qui apportait les cadeaux le 6 décembre, Saint-Nicolas également célébrée le 6, et associé à un autre héros populaire appelé Morozko. Dans le folklore russe, Morozko est un forgeron puissant qui aide les petites gens qui ont du cœur à l'ouvrage et leur offre des présents. Il est très sévère en revanche avec les fainéants.
Grand-père Gel se différencie de ses homologues puisqu'il ne commence la distribution de cadeaux qu'en début d'année. Selon le calendrier orthodoxe, en effet, Noël doit être célébré le 7 janvier et la nouvelle-année, le 14 janvier. De même, le sapin de Noël est-il plutôt le symbole de l'année qui débute. Dans les faits, les russes d'aujourd'hui ont réglé ces divergences de calendrier en allongeant les congés de fin d'année et en fêtant deux fois noël et jour de l'an.


Au début du 20ème siècle, les évènements ont commencé à prendre mauvaise tournure pour Ded Maroz. En 1916, le Saint-Synode qui administre l’Église russe, appelle au boycotte du païen père-Noël. Non seulement, il fait tâche dans l'orthodoxie de la Russie impériale, mais il rappelle trop les coutumes originaires d'Allemagne (l'ennemi de la Russie pendant la première guerre mondiale). L'année suivante, c'est la Révolution bolchevique qui porte le coup décisif et Grand-père Gel, assimilé à un Dieu des enfants, se voit condamné à l’exile. En 1928, Ded Maroz est accusé d'être l' « allié des prêtres et des Koulaks » (les paysans propriétaires de la Russie impériale). Le sapin de Noël, quant à lui, jugé bourgeois et bigot par la RSFSR (République socialiste fédérative soviétique de Russie), est banni du paysage jusqu'en 1935. A cette date, les célébrations du Nouvel-an sont ressuscitées grâce à l'intervention de Pavel Postyshev. Dans un article de la Pravda, en date du 28 décembre, il réclame le retour des arbres de Noël dans les écoles, les orphelinats, les clubs pour enfants, les camps de jeunes pionniers, etc. Son argument tient sur l'origine pré-chrétienne de Ded Maroz et de la fête de Yolka (littéralement l'épicéa ou l'arbre pimpant). En 1937, enfin, le sapin réapparait au Palais de l'Union à Moscou (près de l'édifice actuel de la Douma d’État) et devient un symbole de glorification du bon petit soviétique. L'image du père-Noël soviétique est définitivement fixée dans les films de propagande de la fin des années 1930. Joseph Staline exige alors que Ded Maroz porte une casquette bleue.


Bien que la tradition du Nouvel-an ait été établie par un oukaz de Pierre-le-Grand en 1699, au milieu du 19ème siècle, les décorations de Noël étaient encore importées d'Allemagne. Jusque dans les années 1840, les sapins étaient circonscrits aux quartiers étrangers et au palais des Tsars, dont une partie des membres de la famille pouvaient se prévaloir d'une plus ou moins lointaine origine allemande. Yolka, la fête de l'arbre du nouvel-an, se popularise à cette période et, dès 1848, apparaissent les premières usines de pétards pour les feux d'artifices. Les décorations de Noël sont fabriquées dans la propriété du Prince Alexandre Menchikov. Il s'agit d'une usine de verre produisant également des lampes, des bouteilles et l'essentiel des verres de couleurs vendus dans le royaume. Ces perles et billes de verre soufflées étaient alors excessivement chères et seules les familles fortunées pouvaient se les offrir.
A partir des années 1900, des entreprises plus modestes ont vu le jour, produisant d'abord des décorations en coton ou en papier mâché. La plupart des figurines, s'affranchissaient des symboles religieux et représentaient surtout des animaux (chevaux, lapins, écureuils, etc), d'autres s'inspiraient des traditions païennes (le soleil, le coq qui est le symbole de la nouvelle année). Plus tard, sont apparues des figurines de Ded Maroz, de Snégourotchka, du chat botté et du petit chaperon rouge. Néanmoins, jusqu'à la première guerre mondiale, l'essentiel des décorations étaient toujours importées d'Allemagne.


Entre 1917 et 1935, la Révolution, la guerre civile et la prohibition se soldèrent par l'arrêt complet de la production russe. Mais, avec la restauration de la fête de Yolka, sont apparus de nouveaux petits sujets : écoliers et minorités ethniques dans leurs costumes pittoresques. Des étoiles rouges en fer ou en feutrine sont venues coiffer les arbres, tandis que les boules étaient décorées de portraits de politiciens comme Marx, Lénine ou Staline. La seconde guerre mondiale a vu naître des personnages et sujets militaires tels que les avions, zeppelins, parachutistes, gardes-frontières avec leurs chiens, etc. A la fin des années 1950-1960, lorsque Nikita Khrouchtchev met l'accent sur la réforme agricole, les sapins s'ornent de décorations fruitières et végétales (des pommes, des tomates, des épis de maïs surtout et même des miches de pain). Puis les thèmes du cirque et de l'espace (fusées, cosmonautes, etc) sont venus les remplacer. Dans les années 1970, les producteurs ont adopté le plastique, au détriment des anciennes décorations en laine, carton et fils de fer.
L'une des premières usines soviétiques, spécialisées dans la fabrication de décoration en verre, est celle de Klavdievskaya. Elle fut créée en 1949 à Klavdievo, près de Kiev. Aujourd'hui, elle exporte près de 96% de sa production vers l'Allemagne, la Belgique, la France, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et les États-Unis. Seuls 4% des décorations restent en Ukraine.


Imprimé depuis Cafeduweb - Historizo (http://historizo.cafeduweb.com/lire/12299-joyeux-noel-camarade-sapin-sovietique.html)