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Les Borgia – Marcel Brion

A la faveur de la série de Tom Fontana consacrée aux Borgia et diffusée sur Canal+ cet automne, les éditions Tallandier ont réédité, dans la collection de poche Texto, l'ouvrage de l'historien et académicien Marcel Brion (1895-1984). Paru en 1953, sous le titre Le Pape et le Prince, puis en 1979 sous celui des Borgia, cet essai a pour vocation de s'affranchir de la propagande de la Renaissance, des légendes colportées par les chroniqueurs du 16ème siècle ainsi que des semis-vérités diffusées par les romanciers avides de sensationnel et de quelques historiens peu scrupuleux.

Loin des effusions fumantes qui entourent l'histoire du clan Borgia, ce spécialiste de la Renaissance a examiné de nombreux documents et confrontés les sources contradictoires pour tenter de faire la lumière sur l'histoire courte mais mouvementée des Borgia.

Les Borgia (ou Borja), famille d'émigrés espagnols installés à Rome au milieu 15ème siècle, ont tant marqués les esprits de leur temps qu'ils ont laissé une empreinte indélébile (et, il faut bien le dire teintée de scandales multiples comme le fratricide et l'inceste) dans l'histoire de la ville éternelle. Pourtant, si on fait abstraction d'Alfonso Borgia, élu pape par convenance politique sous le nom de Calixte III (1455 à 1458), les Borgia ne sont guère imposés plus d'une décennie sur Rome et les états italiens. Si leur ascension débute avec la nomination de Rodrigo Borgia (futur Alexandre VI) au poste de vice-chancelier de l'Église romaine en 1457, leur hégémonie débute en réalité avec son élection sur le trône de Saint-Pierre, le 11 août 1492 et s'achève avec sa mort en 1503. A cette date, César (son dernier fils vivant), duc de Valentinois et de Romagne, affaiblit par une maladie qu'on impute souvent à un empoisonnement, n'est plus en mesure de défendre les intérêts du clan. Ce prince, qui est également gonfalonier de l'armée papale et qui fut si souvent célébré par Machiavel, s'est emparé de nombreux territoires italiens et s'est forgé autant d'ennemis. Par ailleurs, ses anciens alliés (en particuliers les Français qui s'étaient rapprochés des Borgia pour faire valoir leurs droits sur le Royaume de Naples) ont d'autres chats à fouetter et César ne dispose plus des forces armées nécessaires pour mettre fin à l'anarchie déclenchée par la mort de son père. Après la mort d'Alexandre VI (sans doute empoisonné à l'occasion du même banquet que César), puis de son successeur le pape Pie III qui n'a régné que 26 jours, César Borgia prend la plus mauvaise décision qui soit dans sa situation : il soutient l’élection de son plus vieil adversaire, le cardinal della Rovere (Jules II), en échange de son maintien au poste de gonfalonier. Si dans un premier temps, le nouveau pape semble tenir ses engagements, il n'attend qu'une occasion pour les rompre. Le Valentinois, ainsi qu'on le surnomme, ne tarde pas à la lui fournir en repartant, sans l'autorisation préalable du pontife, à la reconquête de ses anciens territoires. En 1504, César est finalement livré au roi d'Espagne, contre lequel il a lutté aux cotés du roi de France Louis XII, et emprisonné à la forteresse de Medina del Campo. Il y reste enfermé de longs mois avant de s'échapper et de se réfugier auprès de Jean III de Navarre, son beau-frère. César prend alors la tête d'une armée et entreprend d’assiéger la ville de Viana (actuelle Espagne). C'est lors de ce siège, au cours d'une embuscade où il est séparé de ses hommes, qu'il trouve la mort, le 10 mars 1507.
En ce qui concerne Lucrèce Borgia, fille du pape Alexandre VI et sœur de César, dont ont a tant loué la beauté et dénoncé les mœurs dissolues, c'est une tout autre image qui se dessine dans l'ouvrage de Marcel Brion. Fiancée puis mariée à plusieurs reprises contre son gré, il semble que la jeune femme, conscience de n'être qu'un pion dans la politique menée par les membres de sa famille, n'apirait en réalité qu'à une vie harmonieuse et tranquille. Elle l'obtiendra enfin avec sa troisième alliance, celle qui l'unit à Alphonse d'Este, le duc de Ferrare, en 1501. Dans ce duché, éloigné de Rome (mais non des manœuvres et complots), elle devient la protectrice des poètes et des artistes. Elle meurt en couches en 1519.

Sans éluder les tristes rumeurs qui entachent l'histoire des Borgia ni faire preuve de trop de complaisance, Marcel Brion s'est attaché à retrouvé la vérité de cette famille hors du commun. Son travail ressemble certes à une réhabilitation mais les questions de la Simonie, du meurtre, de l'inceste et du fratricide sont néanmoins étudiées minutieusement. L'historien évoque aussi brièvement, dans un appendice, le mystère de l'infant romain, dont on a jamais pu déterminer s'il s'agissait d'un fils naturel de Rodrigo, de César ou Lucrèce. De même, il n'a jamais été prouvé que César soit l'assassin de son frère Juan, le duc de Gandie, même si cette possibilité n'est pas totalement exclue non plus.
Marcel Brion est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont des biographies dédiées à Laurent le Magnifique, Machiavel et Léonard de Vinci. Parmi les nombreux livres parus récemment sur les Borgia, on peut mentionner les biographies d'Ivan Cloulas (Les Borgia, Pluriel, 2011, 520 pages) et de Geneviève Chastenet (Lucrèce et les Borgia, JC Lattès, 382pages) ainsi que de la réédition de l'essai de Klabund (Les Borgias, Max Milo, 2011, 256 pages).

Les Borgia, le pape et le prince de Marcel Brion (Tallandier, août 2011, 326 pages)


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