Notre curiosité du jour n'est pas un tricycle géant ou une remorque de voiture mais un prototype de char russe, datant de la première guerre mondiale. Le "Char du Tsar" ou "Char Lebedenko" a également été surnommé "Netopyr" (pipistrelle) à cause de sa position inclinée qui rappelait celle d'une chauve-souris endormie.
Le "Char Lebedenko" porte le nom de son inventeur N. Lebedenko, un ingénieur qui travaillait pour un sous-traitant de l'armée russe. Le projet, qui est né en 1914, portait initialement sur un concept de porte-canons supporté par deux roues de 9 mètres de diamètre et une plus petite de 1,5 mètres de diamètre. Cette caractéristique devait lui assurer une excellente manœuvrabilité. Le véhicule comprenait deux canons et plusieurs armes de tir. L'engin pesait plus de 40 tonnes.
Un prototype miniature en bois fut présenté au Tsar Nicolas II, très impressionné par la facilité avec laquelle le jouet franchissait les obstacles (la démonstration fut réalisée avec des livres placés en travers de son chemin). Le Lebedensko obtint les financements réclamés et un modèle de 12 mètres de hauteur fut construit. Le tank pouvait atteindre la vitesse de 17 km/h en pointe, une performance par rapport aux engins existants. En juillet 1915, le Char du Tsar était fin prêt pour son examen de passage. Toutefois, à cause de sa taille et de son poids, il fut décidé que l'engin serait transporté en pièces détachées jusqu'à la zone d'essai. L'endroit était situé à 60 km de Moscou. Les premiers tests débutèrent en août devant la Haute-Commission, réunie pour l'occasion. Ils se conclurent pas un fiasco. Le poids du tank était bien trop important et la petite roue s'enfonçait constamment dans la terre molle. Les designers proposèrent d'équiper le char de moteurs plus puissants mais ces améliorations ne virent jamais le jour. Le projet qui s'élevait à 250 000 Roubles était en effet trop couteux. Par ailleurs, le tank de Lebedenko s'était avéré bien trop vulnérable aux tirs d'artillerie. Enfin, les Russes savaient que les Français et les Britanniques mettaient au point des véhicules tout-terrain équipés de chenilles. Le "Char du Tsar" fut abandonné sur-place et finalement démantelé en 1923.
Si on y regarde d'un peu plus près, on remarque que le début du 20ème siècle s'est distingué par une étrange fascination pour les roues et les objets sphériques. On les retrouvait dans pratiquement tous les prototypes de véhicules militaires et privées. Dans un numéro du mois de Novembre 1933, le magazine Popular Science annonce, par exemple, la mise au point d'un autre prototype de tank. Ce modèle, imaginé par un ingénieur italien, est une sorte de roue géante constituée d'un habitacle intérieur individuel. En juillet 1936, le même journal publie encore une illustration inspirée d'un modèle du Texan, A.J. Richardson. Il s'agit du "Tumbleweed Tank" (le tank réservoir), un blindé en forme de balle ou de boule de billard.
Le "Kugelpanzer" (littéralement Char-balle), fabriqué par Krupp pendant la seconde guerre mondiale, était dans le même esprit. Il était stationné en Mandchourie lorsque les soviétiques l'ont découvert. Il est aujourd'hui exposé au Musée des blindés de Koubinka en Russie. Durant la première guerre mondiale déjà, le ministère de la guerre allemand avait commandé un projet de véhicule blindé à la Bremen Hansa-Lloyd. Il s'agissait de contre-carrer les engins britanniques. Le "Treffas-Wagen" fut achevé le 1er février 1917. Il était pourvu de deux grandes roues de plus de 3 mètres de diamètre. L'habitacle pouvait accueillir une équipe de 4 hommes. Le tank pesait plus de 18 tonnes. Un prototype fut testé entre février et mars 1917 mais les militaires lui préférèrent le "Sturmpanzerwagen A7V" et le "Treffas-Wagen" fut démantelé en octobre de la même année. Les Allemands n'étaient donc pas à leur coup d'essai. En 1916, un autre monstre avait vu le jour. Il s'agit du "MarienWagen Gepanzert", dessiné par Hugo G. Bremer et fabriqué par Daimler. Au total, une dizaine de tanks furent construits.
Dans la série des appareils bizarres, la France a apporté une contribution remarquable: "l'Appareil Boirault", un prototype de 1915. L'engin était tellement peu maniable qu'Alain Gougaud (dans son ouvrage L'Aube de la Gloire, Les Autos-Mitrailleuses et les Chars Français pendant la Grande Guerre) l'a surnommé le "Diplodocus Militaris": « La direction est imprécise (...) Il en résulte que si l'appareil est susceptible de tout écraser sur son passage on ne peut affirmer qu'il rencontrera d'une façon certaine, telle ou telle organisation ennemie de dimensions restreintes qui lui auront été désignées, par exemple, blockhaus, abri de mitrailleuse, observatoire...(...) Executés loin de l'ennemi, sur un terrain d'exercice, dans des conditions ne reflétant en rien la réalité, ces essais sont loin d'être concluants. ». La même année, les Français avait mis au point un autre modèle de char, le "cuirassé Aubriot-Gabet". Ce fortin automobile était basé sur un châssis de tracteur agricole Filtz et propulsé par un moteur électrique. Mais le système était trop vulnérable et fut vite abandonné.
