Telle est la question, destinée à appâter le lecteur. Les faits: 1994, des explorateurs retrouvent des mâchoires dans une grotte près de El Sidron (El Cidrón) au Nord de l'Espagne. La grotte aurait servi de cachette aux soldats républicains lors de la guerre civile espagnole. L'affaire se calme. Les explorateurs ont-ils retrouvé les restes de combattants blessés? Mais la police mène l'enquête et retrouve de nouveaux ossements. La police scientifique entre alors en jeu.
Les corps sont clairement identifiés. Les os ont 50 000 ans, ce sont ceux d'hommes de Néandertal. Depuis la grotte a révélé de nombreux autres ossements et devenue l'une des plus importantes sources d'informations sur ces hommes. Un groupes de 12 personnes a intrigué les scientifiques: 6 adultes (3 hommes, 3 femmes), 3 adolescences (3 hommes), 2 enfants et 1 nourrisson (de sexe non déterminable). Des traces de coupures sur leur os montrent qu'ils ont été dépecés. Et voilà une preuve de cannibalisme pour certains!
To be or not to be, cannibal.
J'avoue n'être pas convaincu par cette seule observation. Pourquoi ne pas attribuer à ce dépeçage un rite religieux, plutôt que de sombrer dans le sensationnalisme? On peut imaginer que ce dépeçage comme un nettoyage des défunts pour éviter les assauts des charognards ou la décomposition. Enfin, les commentaires vont bon train sur la toile. Mixez cannibalisme et des gènes de Néandertal chez l'homme moderne et vous obtenez les commentaires les plus délirants et la bonne excuse aux homo sapiens sapiens cannibales: ce n'est pas leur faute mais celle de l'autre!
Mais revenons à nos 12 hommes, car le cannibalisme ne représente qu'une seule phrase de l'article qui leur est consacré dans le Proceedings of the National Academy of Sciences of the United America. Cet article est le fruit du travail de plusieurs équipes de recherches espagnoles et danoises. Les ossements retrouvés ont bénéficié de conditions de conservation idéales qui ont permis de réaliser des analyses ADN.
Ces analyses montrent que deux individus avaient probablement les fameux cheveux roux des Néandertals. Une analyse plus détaillée de l'ADN mitochondrial (ADNmt) a permis des découvertes plus pertinents. Cette ADN est transmis à sa descendance sans grande altération, généralement, par la mère. Ce type d'ADN permet par exemple de retracer les vagues de migrations humaines et leurs origines anciennes. Les analyses réalisées sur les 12 néandertaliens montrent que 7 appartiennent au même lignage, 4 autres à un second lignage et un dernier à son propre ADN mitochondrial.
Les trois hommes adultes appartiennent au même lignage et sont sans doute frères, cousins ou oncle. Une seule femme adulte appartient à la même famille que les hommes. Les deux autres femmes adultes possèdent leur propre ADN mitochondrial. L'ADNmt permet également de relier les enfants aux mères et révèle un intervalle de trois ans entre les naissances, ce qui est cohérent avec des intervalles de 3-4 ans reportés pour d'autres groupes d'hommes chasseurs/cueilleurs. Ces 3 années correspondent à la période de fertilité de Néandertal (développement intra-utérin + lactation)
Ces informations sont importantes d'un point de vue scientifique car elles permettent d'avoir des données sur les périodes de reproduction de « notre cousin aux cheveux roux » et pourraient permettre de lancer des études statistiques pour comprendre sa disparition. L'autre intérêt de ce travail est d'ordre sociologique. Il est, en effet, maintenant permis d'envisager une organisation patriarcale de la société néandertalienne. Les groupes de 10-15 individus sont organisés autour des hommes/ Lors de rencontres avec d'autres groupes, les femmes sont échangées. On retrouve donc une grande dispersion géographique de l'ARNtm transmis par les mères et une faible diversité du chromosome Y caractéristique des mâles.
Source: Genetic evidence for patrilocal mating behavior among Neandertal groups.
Carles Lalueza-Fox, Antonio Rosas, Almudena Estalrrich, Elena Gigli, Paula F. Campos, Antonio García-Tabernero, Samuel García-Vargas, Federico Sánchez-Quinto, Oscar Ramírez, Sergi Civit, Markus Bastir, Rosa Huguet, David Santamaría, M. Thomas P. Gilbert, Eske Willerslev, and Marco de la Rasillawww.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1011553108
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