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Le mystère du tisserand égyptien au luxueux sarcophage

Il y a environ 3 200 ans, alors que l’Egypte sortait de la guerre civile, un jeune garçon nommé Nakht travaillait comme tisserand dans une chapelle funéraire. Les analyses pratiquées sur sa dépouille ont montré que son alimentation était pauvre, qu’il a souffert de malaria et qu’il est finalement décédé vers l’âge de 14 ans. Il semblerait que ses conditions de travail soient en partie responsables de sa mort précoce. Les sources anciennes montrent en effet que les tisserands étaient en bas de l’échelle sociale et que leur métier était difficile.

Un homme appelé Dua-Khety, écrivait ainsi à son fils qui voulait devenir scribe : « le tisserand est plus misérable qu’une femme. Il travaille les genoux repliés sur son ventre et ne peut respirer à son aise. S’il rate un seul jour de travaille, il reçoit 50 coups de fouet. Le seul moment où il peut profiter de la lumière du jour, c’est lorsqu’il apporte le repas du portier. » Si ce témoignage, vieux de 3 500 ans, est un peu exagéré, il montre néanmoins que les tisserands étaient peu considéré. Jusqu’à aujourd’hui, les archéologues pensaient savoir qui était Nakht le tisserand, et son dossier archéologique a été clos rapidement. Or, une étude récente tend à prouver que l’histoire du jeune égyptien est bien plus compliquée qu’il n’y paraissait au premier abord.
Anders Bettum, un doctorant de l’Université d’Oslo, a réalisé des clichés du sarcophage en haute résolution. Avec l’équipe du Musée de Toronto, il en a profité pour examiner les hiéroglyphes d’un peu plus près et s’intéresser au bois utilisé pour la fabrication de la boîte. Les conclusions de cette étude ont été présentées par le Dr. Gayle Gibson lors d’un colloque au ROM (Royal Ontario Museum), le 26 mars dernier.

L’égyptologue du Musée Royal de Toronto a expliqué à son auditoire que les conclusions de son équipe allaient les surprendre. Les chercheurs ont en effet découvert que Nakht, l’adolescent sous-alimenté, a été inhumé dans un cercueil haut de gamme, donc bien au-dessus de ces pauvres moyens. Par ailleurs, rien ne montre que l’écrin n’ait été volé dans un autre tombeau et réutilisé.
Comme l’explique le professeur Gibson, il s’agit d’un superbe sarcophage avec des représentations personnalisées de son propriétaire. Bien que les dessins soient abîmés, les chercheurs ont identifié par exemple un scarabée et des disques solaires. Ils ont également repéré une représentation de Nout, la Déesse du ciel, étirant ses ailes pour protéger les organes génitaux du défunt. Il y a aussi un portrait de Nakht lui-même, portant tuniques et colliers. Ses dessins sont d’excellente qualité, ajoute la conférencière. Mais, il y a plus surprenant encore, puisque l’équipe a constaté, grâce aux images haute-résolution, que la couleur verte est beaucoup utilisée. En effet, chez les anciens égyptiens, les prix variaient en fonction des nuances choisies. Or, le vert était l’une des teintes les plus chères.
Les chercheurs ont également examiné la base du sarcophage, qui leur a révélée de nouvelles surprises. Celle-ci n’était pas ornée de la déesse Isis, comme il était de coutume, mais de la déesse Neith parfois considérée comme la patronne des tisserands. Pour l’instants, les archéologues ne sont pas parvenus a identifié le bois utilisé dans la fabrication du cercueil. Néanmoins, ils ont exclus divers matériaux, comme le sycomore, et sont arrivés à la conclusion qu’il avait été importé d’une autre région. La question qui taraude les chercheurs est donc : comment un petit tisserand, pauvre et malade, a-t-il pu s’offrir une telle sépulture ?

L’égyptologue Kathlyn Cooney, de l’Institut d’Archéologie de l’UCLA a réalisé une étude sur le coût des sarcophages dans l’ancienne Egypte et rédigé un essai paru en 2008 dans le catalogue de l’exposition du Musée de Brooklyn, To Live Forever: Egyptian Treasures from the Brooklyn Museum. Elle souligne que la plupart des Egyptiens n’avaient pas les moyens de s’offrir ce type de sépulture et encore moins d’importer des bois précieux ou de commander des dessins utilisant des pigments onéreux. En général, les Egyptiens enveloppaient leurs morts dans des tissus ou un tapis de feuilles de palmier, puis devaient les abandonner dans une fosse commune. L’idée commune selon laquelle la plupart du temps les corps des défunts étaient placés dans différentes sortes de cercueils est démentie par les sources antiques et les preuves archéologiques. En réalité, une minorité de personnes bénéficiaient de ce privilège.
Dans le cas de Nakht, les chercheurs ne disposent que de peu d’indices et ils n’auront sans doute jamais la preuve absolue qu’il s’agissait d’un tisserand ordinaire. Son sarcophage a été exhumé par l’égyptologue suisse Henri Édouard Naville (1844- 1926) en 1903-1904. Il a été trouvé dans une tombe, située sur le coté Est du temple funéraire de Montouhotep II (pharaon de la XIe dynastie) à Deir el-Bahari. Ce site est localisé face à la ville de Louxor et des temples de Karnak. Le monument lui-même a été érigé voici 4 000 ans. Ce tombeau a été construit bien avant la naissance de Nakht et a été occupé au moins par une autre sépulture. Néanmoins, on sait que cet emplacement, si proche du temple, a toujours revetu un caractère spécial. Les hiéroglyphes composant l’inscription sont d’ailleurs surprenants : User-ka-re Nakht soit Userkhaure est puissant. Il s’agit d’un hommage à Setnakhte, le premier pharaon de la XXe dynastie, désignant Nakht comme une personne employée par le pharaon et bénéficiant d’un statut privilégié. Or, comment le souverain d’Egypte pouvait-il embaucher un adolescent de 14-15 ans (au mieux 18 ans)?

La clé du mystère se trouve peut-être dans la tombe du pharaon lui-même, Userkhaure-setepenre Setnakhte ou Sethnakht. On sait que ce pharaon est arrivé au pouvoir après une période de guerre civile. Le papyrus Harris, trouvé dans une tombe près de Médinet Habou et entré dans les collections du British Museum en 1872, raconte comment Sethnakht a restauré la paix au sein de son royaume. L’Egypte était alors aux moins des chefs locaux. Userkhaure a entrepris de soulever une armée pour anéantir ses opposants et réaliser l’unification du royaume.
Les chercheurs du Royal Ontario Museum pensent que la famille de Nakht aurait pu soutenir cette campagne militaire. Son père pourrait être un vétéran ayant participé aux batailles. Malheureusement les inscriptions du cercueil ne font aucune référence aux parents du jeune tisserand. Plus étrange encore, le nom de sa mère n’apparaît pas. Un évènement inhabituel, selon le Dr. Gayle Gibson. Par ailleurs, elle exclut la possibilité selon laquelle Nakht aurait pu être un proche du pharaon lui-même (un membre de sa famille, par exemple) car, dans ce cas, il n’aurait pas souffert de malnutrition et aurait exercé une profession plus prestigieuse que celle de simple tisserand.
Il semblerait que le mystère Nakht le tisserand soit destiné à rester entier sauf si de nouveaux indices venaient à apparaître. L’adolescent est-il lié au pharaon d’une manière ou d’une autre ? Les égyptologues se sont-ils trompés sur le statut des tisserands dans Égypte ancienne ? Autant de questions qui restent en suspens, pour l’instant. Le docteur Gibson et son équipe envisage dans l’avenir d’étudier de plus près les conditions de travail des enfants employés dans le tissage.


Source:
Unreported Heritage News
Images:
1/ Galerie de photos de ckirie sur Flickr (36 images du sarcophage de Nakht)
2/ Royal Ontario Museum. Sous les pieds du sarcophage.
3/ Dr Gayle Gibson devant une fresque du ROM.

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