Au 1er siècle avant notre ère, Muziris assurait les échanges commerciaux entre l'Inde et l'Empire romain. Or, ce port florissant semble avoir disparu du jour au lendemain. Les archéologues ont longtemps cherché ce comptoir mythique, connu localement sous le nom de Muciri ou Vanchi. Néanmoins, un groupe de chercheurs travaillant dans le petit village de Pattanam dans le Kerala, au sud-ouest de l'Inde, pourraient avoir résolu le mystère.
On sait que les échanges entre l'Inde et l'occident ont débuté dès le 6ème siècle avant notre ère. Fascinés par les récits de campagne d'Alexandre le Grand, les Romains se sont attachés à développer un réseau commercial en direction de la fameuse route de la Soie qui reliait l'Asie centrale à la Chine. Les premières mentions de Muziris apparaissent dans les anciens textes indiens, rédigés entre le 3ème siècle avant J.C et le 3ème siècle après J.C, par une assemblée d'érudits et de poètes Tamouls. On y trouve de nombreuses références à des bateaux débarquant chargés d'or et reportant avec du poivre. Les historiens pensent que les Romains exportaient des pièces d'or, du Topaze, du corail, du cuivre, du verre, du vin et du blé; et se fournissaient en diamants, saphirs, ivoire, soie et épices. La navigation, depuis Rome jusqu'à Muziris, était relativement risquée mais le jeu en valait la chandelle. Le spécialiste de l'histoire maritime, Lionel Casson (1914-2009) a estimé qu'un navire de 500 tonnes pouvait transporter l'équivalent, en terme de prix, d'un champ de 800 à 1000 hectares en Égypte. L'archéologue Federico Romanis évalue la valeur des cargaisons à 68 000 pièces d'or. En 1983, les chercheurs ont découvert un trésor constitué de nombreuses pièces romaines, à 10 km au large de Pattanam. Selon le Dr. Roberta Tomber, spécialiste de la période romaine au British Museum, le commerce entre l'occident et l'Inde a connu un apogée entre le 1er siècle avant J.C et le 1er siècle après J.C. Néanmoins, les échanges se sont poursuivis jusqu'au 6ème ou 7ème siècle. On sait, par ailleurs, que le port était également fréquenté par les marchands arabes et égyptiens.
Pendant longtemps, les historiens ont pensé que l'antique port de Muziris était situé sur le site de Kodungallur (ou Cranganore), à 7 km au nord de Pattanam. Ils étaient influencé par un manuel dédié à Malabar et rédigé en 1877 par un officier écossais, William Logan (1841–1914). Les fouilles n'ont débuté qu'en 1945 et n'ont apporté aucune preuve archéologique. Une seconde campagne a été menée en 1969 à Cheraman Parambu, soit à 2 km de Kodungallur. Les archéologues indiens y ont exhumé des pièces datant du 13ème et du 16ème siècles, mais n'y ont détecté aucune trace d'activité commerciale remontant à l'antiquité. Une série d'études récentes ont finalement montré qu'ils faisaient fausse route puisque la géographie de la région s'est profondément modifiée au cours des siècles. Dans un rapport intitulé In Search of Muziris (à la recherche de Muziris), les historiens Rajan Gurukkal (Mahatma Gandhi University) et Dick Whittakker (Churchill College, Cambridge) indiquent qu'un phénomène géophysique survenue, il y a 300 à 400 ans, a entraîné un déplacement de la ligne de côte de 3 km par rapport à son emplacement actuel. Il y a 2000 ans, elle se situait encore plus à l'est, soit environ 6,5 km vers l'intérieur. Le reflue de l'eau aurait entraîné l'émersion de nouvelles terres et de canaux de navigation. Une étude menée entre 1993 et 1997, par le géo-archéologue Shajan K. Paul, a montré que le cours du Periyar a également changé dans la région de Paravur, au Nord-Ouest de sa position actuelle. L'ensablement régulier de l'embouchure du fleuve a sans doute participé à l'abandon progressif de l'activité maritime de Mazuris.
Un an plus tard, Shajan Paul est alerté par un ingénieur originaire de Pattanam et qui travaillait sur une plantation de cocotiers, de la découverte d'un ancien mur de briques. Le nom de Pattanam signifie cité portuaire. Il n'en faut pas plus au jeune archéologue pour se rendre sur-place avec ses compagnons, les archéologues P.J. Cherian et V. Selvakumar de l'Union Christian College à Aluva. Dans les jardins du village, les chercheurs exhument de nombreux fragments de poteries (de qualité bien supérieure aux poteries mégalithiques fabriquées dans le sud de l'Inde), apportant les preuves matérielles d'une activité commerciale indo-romaine sur le site. Les jeunes chercheurs font alors appel à une spécialiste de la céramique romaine, le Dr. Roberta Tomber du British Museum.
A partir de 2007, les fouilles sont placées sous l'égide du KCHR (Kerala Council for Historical Research) qui en publie régulièrement les résultats. Les archéologues exhument les vestiges d'amphores romaines, de céramiques sigillées, de lampes en terracotta, de poteries sassanides, d'objets originaires d'Asie de l'est, des pièces de monnaie frappées à Chera, etc. En juillet 2009, Current Science annonce la mise à jour d'un gigantesque complexe comprenant des quais, un entrepôt et une pirogue. Une analyse au carbone 14 a permis d'estimer sa date de construction au 1er siècle avant notre ère. Une grande quantité de résidus botaniques (poivre, cardamone, encens et pépins de raisins), datant de la même période, sont également découverts. Il ne fait donc plus de doute que Pattanam a joué un rôle clé dans le développement du commerce dans l'océan indien. Par ailleurs, de nombreux indices attestent d'une occupation continue du site, dès la période pré-romaine, et remettant jusqu'à l'Age de fer (soit du 10ème au 5ème siècle avant J.C.).
En dépit des avancées réalisées, P.J. Cherian (qui dirige aujourd'hui l'équipe de fouille) préfère rester prudent. Si les indices matériels montrent que Pattanam est lié à l'antique cité portuaire de Mazuris, rien ne prouve qu'il s'agit de la principale place commerciale de l'Orient. Il pourrait, en effet, s'agir d'un satellite. Nelkynda, Bycare et Tyndis, les autres ports mentionnés dans les textes anciens (et non identifiés à ce jour) étaient des comptoirs d'équivalente importance. De même, Steven E. Sidebotham, professeur d'histoire ancienne à l'Université du Delaware, a expliqué dans une interview accordée à la revue Frontline (numéro du 10 au 23 avril 2010), que les Asiatiques du Sud commerçaient indifféremment avec les ports romains de Berenike et Myos Hormos, situés sur la côte de la Mer Rouge en Égypte. Les chercheurs indiens envisagent donc de comparer leurs découvertes aux études archéologiques déjà réalisées sur les sites égyptiens (qui ont fait l'objet de 10 campagnes de fouilles), ainsi qu'à celles d'Arikamedu (près de Pondicherry) qui leur était contemporain. Roberta Tomber rejoint ses collègues sur ce point. Selon elle, il est clair que les poteries de Pattanam nous conduisent sur la piste d'autres comptoirs de l'Océan Indien. Les ports de la mer rouge servaient de points d'embarquement. Les navires romains faisaient ensuite halte au Yémen, à Oman et sur d'autres sites de la côte indienne. Avant la mise à jour de Pattanam, Arikamedu apparaissait comme le site archéologique le plus riche. L'historien K.N. Panikkar, directeur du KCHR, ajoute qu'il serait hasardeux, à ce stade des recherches, de conclure que Pattanam est Muziris. Il reste encore beaucoup de points à éclaircir et, surtout, une vaste zone à explorer.