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Carleton Simon: la neurocriminilogie contre le syndicat du crime

Dans les années 1920-1930, New-York est le foyer du crime organisé. Les lois sur la prohibition, qui interdissent la production, le vente et la distribution d'alcool, n'ont pas eu l'effet escompté puisque le taux de criminalité a augmenté au lieu de baisser. Les gangsters se sont organisés. Ils ont pris le contrôle de la vente d'alcool et rackettent l'ensemble des intervenants. Du rhum en provenance des caraïbes, du gin britannique et du champagne français sont importé en contrebande aux États-Unis. Les Speakeasies (bars clandestins) se multiplient et on en compte plus de 100 000 en 1925. En 1933, lorsque la prohibition est abolie, les gangsters se tournent vers d'autres activités, comme le trafic de drogues, et les chiffres de la criminalité continuent d'augmenter.

Dans la bataille contre le syndicat du crime à New-York, un homme occupe la première place sur la ligne de front. Carleton Simon (1871-1951) est psychologue mais son champ d'action s'étend au delà du canapé de son cabinet. Il devient le Tsar de la drogue, six décennies avant que le terme ne soit même inventé (le titre qui désigne les fonctionnaires chargés de la lutte antidrogue aux États-Unis est utilisé pour la première fois en 1982). Carleton Simon est alors une petite célébrité, qui a apporté une contribution mineure au champ de la médecine légale naissante grâce à une méthode d'identification des criminels. Il s'applique ensuite à développer ses connaissances du fonctionnement de leurs cerveaux et devient, de fait, le premier neurocriminologue.

Carleton Simon est né le 28 février 1871 à New-York. Il a fait ses études à Vienne et à Paris. Après l'obtention de son diplôme, en 1890, il dirige des recherches sur le sommeil et démontre que le bulbe rachidien joue un rôle majeur dans le processus. Il présente le résultat de ses recherches en 1897 au congrès de la Medico-Legal Society. Quelques années plus tard, le Dr. Simon est élu président du Hundred Year Club, une institution dédiée à l'étude de la longévité. Au tournant du 20ème siècle, le psychiatre s’intéresse finalement à la criminologie, à la psychopathologie et à la phrénologie. Cette dernière discipline pseudo-scientifique s'appuie sur la théorie selon laquelle les bosses du crâne d'un être humain reflètent son caractère. Carleton Simon est en effet persuadé que le visage d'un individu est marqué par ses expériences passées et, par là, qu'on peut reconnaître un criminel en lisant ses traits faciaux.
Le Dr. Simon demande l'autorisation d'établir le portrait psychiatrique de Leon Czolgosz, l'anarchiste d'origine polonaise qui a tiré sur le président William McKinley, durant l'exposition panaméricaine de Buffalo, le 6 septembre 1901. La police dit de l'inculpé qu' « il présente les caractéristiques phrénologiques communes aux malfaiteurs issus des classes sociales inférieures et dégénérées. » McKinley succombe à ses blessures quelques jours plus tard et Czolgosz est condamné à la chaise électrique, le mois suivant. Par la suite, Carleton Simon est régulièrement consulté lors des procès, au titre d'expert médico-légal. En 1907, le propre père du psychiatre est assassiné par l'une de ses employée. On imagine que cet événement conforte Simon dans sa volonté de poursuivre une carrière de criminologue.

Peu de temps après l'établissement de la prohibition à l'échelle nationale (amendement du Volstead Act, le 16 janvier 1920), Carleton Simon est nommé au Bureau des Narcotiques de la police de New-York. Il réalise alors que le combat contre la criminalité ne fait que commencer. Le 22 décembre 1920, dans lun entretien accordé au New-York Times, il explique comment l'interdiction des boissons alcoolisées a entraîné un regain d’intérêt pour les drogues. Durant six ans, le Dr Simon participe activement à l'arrestation de nombreux barons de la drogue. Car, il ne se contente pas de rester assis derrière un bureau, il va lui-même sur le terrain, arrête trafiquants et toxicomanes, organise des raids dans les fumeries d'opium et autres établissements illégaux, saisit stupéfiants et alcools. Tant et si bien que, dès le 25 février 1921, le psychiatre peut se vanter dans les journaux d'avoir arrêté plus de criminels en 3 mois et demi que dans toute l'histoire de la ville. Dix-huit mois plus tard, il annonce encore au New-York Times que son équipe a procédé à plus de 4 800 arrestations. Selon lui, 2% des trafiquants ont été arrêtés et condamnés à trois ans de prison en moyenne.
A son arrivée au Bureau des narcotiques, Carleton Simon fonde l'International Narcotic Criminal Identification Bureau et créé une base de données répertoriant les photographies et les empreintes digitales de plus de 100 000 convaincus de trafic de stupéfiants, dans 700 villes américaines et 27 pays étrangers. Il tisse ainsi un réseau international de lutte contre la drogue, dont l'organisation rappelle celle des services secrets. Le Dr Simon reçoit désormais des rapports quotidiens en provenance de Londres ou de Paris et remonte ainsi les filières étrangères. Une brigade spéciale de la marine est créé. Elle est équipée de 250 bateaux à moteurs qui permettent de surveiller les côtes et de saisir les produits de contrebande.

Mais en dépit de tous ces efforts, le taux de criminalité continue d'augmenter et, dans les années 1930, on estime qu'il ne coûte pas loin de 15 milliards de dollars au contribuable américain. A cette date, l'état des connaissances sur le cerveau humain est encore rudimentaire. Les criminels et les psychopathes sont généralement lobotomisés ou soumis à la thérapie de l’électrochoc. Un autre moyen de contrôle, utilisé à partir de 1933, est la cure de Sakel, d'après le nom de son inventeur Manfred Sakel. Ce traitement, destiné à soigner la schizophrénie, consiste à provoquer des comas répétés par l'injection de fortes doses d'insuline. A la même période, Carleton Simon élabore une nouvelle théorie, qui croit-il, permettra à la science de comprendre le fonctionnement cérébral des criminels pour mieux les contrôler.
Sa vision s'inspire en fait des travaux menés par Paul Broca (1824-1880) et qui se distinguent de ceux conduits par le phrénologue Franz Joseph Gall (1758-1828). Selon le médecin français les troubles du langage doivent être imputés à une lésion dans l'hémisphère gauche, près du lobe frontal. Ce système est incompatible avec celui des bosses, développé par les phrénologues. Au même moment, le neurologue et psychiatre allemand Carl Wernicke (1848-1904) vient compléter les découvertes de Paul Broca sur les localisations cérébrales par l'aphasiologie. Il identifie en effet une autre zone, dans l'hémisphère gauche. Une lésion de cette Aire de Wernicke entraîne un déficit de compréhension du langage oral et écrit. L'hémisphère gauche est dès lors considéré comme la zone dominante du cerveau. Partant de ce constat, le Dr Simon échafaude une hypothèse selon laquelle les instincts criminels seraient liés à une inversion de la dominance cérébrale. L'hémisphère droit, en prenant le contrôle du cerveau, entraînerait des comportements irrationnels.
En juillet 1939, dans un article intitulé Have You A Wrong Way Brain? (Votre cerveau fonctionne-t-il dans le bon sens?) et publié dans Popular Science, Carleton Simon explique que « nous sommes tous équipés de deux bras, deux jambes, deux yeux, deux oreilles, deux poumons, et deux lobes (entendez hémisphères) cérébraux. L'un des ces lobes, dit-il, est plus puissant que l'autre. Il dicte nos réactions face aux différentes situations et explique un caractère normal chez un individu. Néanmoins, il arrive que le lobe faible prennent le pouvoir. Dans ce cas, la personnalité de son propriétaire change radicalement. Dr. Jekyll devient Mr. Hyde et le citoyen respectueux des lois se transforme en criminel. »

Simon développe également des techniques qui contribuent à l'émergence des sciences médico-légales. Il remarque, par exemple, que les criminels laissent toujours des indices derrière eux (cheveux, empreintes digitales, traces de sangs, fragments de tissus, etc), que ceux-ci peuvent être examinés au microscope et fournir des informations précieuses sur l'identité du responsable. Aux États-Unis, l'utilisation des empreintes digitales a été introduite par le détective Joseph A. Faurot (1872-1942) en 1906. Cependant, dès les années 1930, les gangsters ont trouvé le moyen de déjouer le piège de cette méthode d'identification. Ainsi que l'explique un journaliste du Times, en 1935, les malfaiteurs comme John Dillinger et Homer Van Meter, se mutilent avec de l'acide, rendant impossible la reconnaissance de leurs empreintes digitales. Carleton Simon s'associe donc à Isidore Goldstein (1879-1937), un ophtalmologue du Mount Sinai Hospital à New-York, pour développer un nouveau système d'identification. Le réseau de vaisseaux sanguins dans la rétine est si complexe qu'il diffère chez chacun d'entre nous. Cette méthode est l'ancêtre du scanner rétinien, dont le brevet ne sera déposé qu'à la fin des années 1970.
De 1928 à 1938, Carleton Simon occupe la fonction d'expert au sein de la commission Hays. Le sénateur William Hays (1879-1954), le premier président de la MPPDA (Motion Pictures Producers and Distributors Association) est l'auteur du code de censure du même nom, qui impose un certificat de moralité au cinéma hollywoodien durant la période 1934-1966. Parmi les principes généraux énoncés, on peut citer ceux concernant le crime. Les films ne doivent jamais encourager la violence ni présenter les criminels sous un aspect suscitant la sympathie ou le désir d'imitation. Le trafic de drogue ou la consommation d'alcool sont bannis de l'écran. Enfin, les différentes techniques utilisées par les malfaiteurs (lors de cambriolages ou sur une scène de crime) ne doivent pas être présentées en détail.
Carleton Simon meurt le 18 février 1851, dans sa quatre-vingtième année. Bien qu'à l'apogée de sa carrière, il se soit forgé une réputation de psychiatre et de criminologie à l'échelle internationale, il est rapidement tombé dans l'oubli après sa mort.

Source: Neurophilosophy

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