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Le Codex Jordanien décodé ou le canular de Pâques

Notre curiosité du jour est une relique biblique qui a monopolisé les colonnes des médias anglo-saxons ces dernières semaines. Il faut dire que le scénario est digne du Da Vinci Code de Dan Brown ! En mars dernier, une équipe britannique, dirigée par David Elkington, a annoncé la découverte de 70 rouleaux et manuscrits, composés de 5 à 15 folios chacun et d'un portrait de Jésus, datant de près de 2 000 ans. Les chercheurs l'ont surnommés le codex en plomb.


La BBC a fait savoir que cette découverte inestimable pourrait modifier notre vision de la crucifixion et de la naissance du christianisme. Or, Steve Caruso, un expert indépendant spécialiste des textes araméens, et Peter Thonemann, professeur d'histoire ancienne au Wadham College à Oxford, ont étudié les inscriptions de près et ont conclu que la relique est une contrefaçon.


L'histoire de ce codex est édifiante de contradictions. La première version n'est pas sans rappeler celle des manuscrits de la mer morte, la dernière découverte archéologique sensationnelle du genre. Le petit codex (dont la taille est comparable à une carte de crédit) aurait été découvert, il a cinq-six ans, par un Bédouin, dans une grotte située près du village de Saham au nord de la Jordanie, soit à moins de 160 km de Qumran. Selon Ziad al-Saad, porte parole du gouvernement jordanien et directeur du département des antiquités, la précieuse relique aurait fabriquées par les disciples de Jésus, quelques décennies après la crucifixion. Elle aurait été mise à jour grâce à une inondation survenue il y a quelques années et qui aurait fait émerger deux niches jusque là invisibles.
Des variantes de l'histoire racontent que le codex appartenait à la famille du bédouin depuis au moins un siècle ou que le père du nomade l'aurait trouvée au nord de l’Égypte. Les journalistes du Daily Mail, qui ont mené leur petite enquête, révèlent eux que le soi-disant Bédouin s'appellerait Hassan Saida et qu'il vivrait dans le village israelo-arabe d'Umm al-Ghanim, près du mont Tabor, en Israël. Il serait en réalité propriétaire d'une entreprise de camions et considéré comme un homme fortuné dans son village.


En dépit de ces zones d'ombre, les chercheurs s'enthousiasment pour ce parchemin relié avec des anneaux en métal composés de cuivre et plomb. Rédigé en hébreu ancien, il présente des symboles et des références chrétiennes qui ont convaincus d'aucuns que cette découverte pouvait être plus importante que celle des manuscrits de la mer morte. L'une des images les plus frappantes est une représentation des murs de Jérusalem avec une croix de style romain et une tombe au premier plan. Une autre gravure montre une ménorah (chandelier à sept branches des Hébreux) dont la représentation était strictement interdite chez les juifs du premier siècle. Lors d'une interview accordée à la BBC, Phillip Davies, de l'Université de Sheffield, a expliqué qu'il s'agissait d'une représentation de la crucifixion, à l’extérieur de la ville. Cette scène vous rappelle-t-elle quelque chose ? Par ailleurs, le trésor jordanien compterait le premier portrait de Jésus, connu à ce jour. Certains pensent qu'il aurait pu être réalisé par des proches du Christ.
Un certain nombre d'universitaires se sont empressés de faire remarqué que la relique avait été découverte près du lieu où les Chrétiens persécutés et chassés de Jérusalem avaient disparu. Delà à conclure que le codex aurait été en possession des premiers martyrs Chrétiens, il n'y avait qu'un pas à franchir.


Margaret Barker, l'ancienne présidente de la Society of Old Testament Study, a été contacté par David Elkington, sur une recommandation de l'archevêque de Canterbury, pour authentifier la relique. Ceux-ci ont d'abord pensé que le codex pour être originaire d'Alexandrie et dater du début du premier millénaire. Peter Thonemann défend une théorie toute différente. En effet, sur l'un des feuillets, les chercheurs auraient repéré plusieurs lignes d'inscriptions en lettres grecques, autour d'un dessin représentant un palmier, une ville fortifiées, des crocodiles et un surprenant portrait d'Alexandre le Grand. Il s'avèrerait que cette phrase énigmatique en grec (« ...sans douleur, Adieu ! Abgar, également connu sous le nom d'Eision... ». Il n'a guère fallu plus d'une demi-heure de recherche en bibliothèque pour résoudre l'énigme. Il s'agit d'une soit retranscription d'une épitaphe. L'inscription funéraire provient d' une tombe romaine ordinaire, située à Madaba, à 30 km au sud d'Amman, la capitale jordanienne. Elle est datée de 108/109 après J.C. Et se trouve actuellement au Musée d' Amman. Sa transcription complète est la suivante : « Pour Selaman, un excellent homme, sans douleur, Adieu ! Abgar, également connu sous le nom d'Eision, fils de Monoath, qui a construit cette tombe pour son excellent fils, dans la troisième année de la province ». Ainsi, les lignes ornant les pages du codex ne sont-elles pas de mystérieux symboles kabbalistiques comme l'avait suggéré David Elkington, mais une copie mécanique d'inscriptions funéraires.
Selon le professeur Thonemann, le codex serait une contrefaçon moderne, réalisée dans les 50 dernières années et proviendrait plutôt de la région Amman. On trouve d'ailleurs ce type d'objet dans les boutiques de la capitale jordanienne. Ces faux s 'inspirent souvent des gravures que l'on trouve sur les anciennes pièces de monnaie, originaires de Grèce ou de Judée. Ces pseudos symboles judéo-chrétiens sont généralement entrecoupés d'un charabia, maladroitement adapté de textes anciens. Enfin, M. Thonemann a repéré dans le codex de plomb plusieurs images anachroniques, dont un christ en croix. Il s'agit en fait du dieu Hélios, la personnification du soleil dans la mythologie grecque. Ce dessin s'inspire d'une gravure provenant d'une pièce de monnaie originaire de l'île de Rhodes.


Steve Caruso est arrivé au même verdict que son collègue en étudiant les photos du texte disponibles dans les médias. Il a noté que des inscriptions araméennes, vieilles de 2 500 ans, étaient mélangées à des caractères plus récents. Il a donc regardé de plus près et identifié des scripts nabatéens et palmyréens, datant des 2ème et 3ème siècle avant J.C. Le codex ne peut donc pas avoir été rédigé à l'aube du christianisme. Par ailleurs, les caractères plus anciens sont extrêmement malhabiles et présentent de nombreuses incohérences. En réalité, ils semblent avoir été recopiés à la hâte.
Kimberley Bowes, une archéologue de l'Université de Pennsylvanie, fait de son coté remarquer qu'à aucun moment les médias n'ont remis en cause les compétences de David Elkington. Celui-ci n'est pas du tout archéologue, contrairement à ce qui a été écrit dans les journaux. Il n'occupe aucun poste officiel ni position académique. De plus, les théories qu'il a défendues dans ses précédents articles sont réfutées par la plupart des historiens. Comment expliqué alors l'empressement des médias à donner un écho assourdissant de la pseudo découverte de M. Elkington ? Selon Steve Caruso, il a été motivé par la volonté de créer le buzz ou la nécessité de trouver un sujet fédérateur pour les fêtes de Pâques. Ainsi que l'explique le Dr Bowes, les fausses reliques religieuses sont extrêmement communes. Beaucoup de nos contemporains éprouvent en effet le besoin de dénicher des indices matériels prouvant que la Chrétienté était déjà solide aux deux premiers siècles de notre ère. Or, on sait que le nombre de Chrétiens était très réduit à cette époque, soit probablement moins de 7000 individus aux alentours de 100 après J.C. Par ailleurs, ils se distinguaient peu de leurs frères juifs.

Sources:Live Science, Times Online et blog de Daniel O. McClellan

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