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Anatomistes et résurrectionnistes

Personne ne contestera le fait que la recherche médicale est une discipline nécessaire qui permet de sauver de nombreuses vies humaines. Néanmoins son histoire est peuplée de zones sombres qui ont marqué les esprits. Ainsi, au 19ème siècle, l'avancée des connaissances anatomiques s'est-t-elle faite au détriment de quelques vies humaines. Se procurer des sujets d'étude était, en effet, devenue un véritable casse-tête, d'autant que le système de réfrigération que nous connaissons aujourd'hui était inexistant. Mais pour les ressurectionnistes, la mort est devenu une entreprise très lucrative. Parmi ces pourvoyeurs de cadavres, certains n'ont pas hésité à commettre des meurtres pour répondre à la demande de leurs clients anatomistes.

En 1543, André Vésale (1514-1564) publie un ouvrage monumental, De humani corporis fabrica (Sur le fonctionnement du corps humain), qui souligne l’importance de la dissection. Ce travail novateur révolutionne l'anatomie humaine et entraîne une résurgence de la dissection à vocation scientifique. En Europe du Sud, apparaissent les premiers théâtres anatomiques, conçus d'abord comme des structures démontables. Les dissections publiques attirent un large public qui s'étend bien au-delà des seuls médecins et étudiants. Les théâtres se pérennisent et des structures permanentes apparaissent dans toute l'Europe (Copenhague en 1640, Madrid vers 1689, Amsterdam en 1691, Berlin en 1720...) et jusqu'aux États-Unis. Les connaissances anatomiques progressent au même rythme, si bien qu'à la fin du 18ème siècle, les médecins ont finalisé la description du corps humain et établi les bases de l'histologie. Cette évolution des sciences médicales entraîne un accroissement de la demande en corps humains.
Jusqu'au 19ème siècle, les dissections sont réalisées essentiellement sur les cadavres de condamnés à mort. Or, la peine capitale n'est pas si fréquente et ce système ne permet pas de répondre à la demande croissante des écoles de médecine. En Angleterre, par exemple, il faut attendre l'Anatomy Act de 1832 pour voir s'étendre légalement les dons de cadavres aux personnes décédées dont les corps n'ont pas été réclamés par des proches ou aux personnes n'ayant pas les moyens de se payer une sépulture décente. Par ailleurs, la pratique de l'anatomie est désormais soumise à l'obtention d'une licence émanant du Home Secretary (le ministère de l'intérieur). Cette loi a été votée en réponse à un scandale sans précédent, l'affaire Burke & Hare qui devait ruiner la carrière de leur renommé client, le Dr. Robert Knox, professeur d'anatomie à la Barclay's Anatomy School à Édimbourg.

William Burke et William Hare, sont deux immigrants irlandais venus d'Ulster à Edimbourg pour se faire embaucher comme journaliers à New Union Canal. Ils trouvent un logement chez Maggie Laird et Nell Macdougal, deux femmes de petite vertue, installées dans le sordide quartier de West Port. La journée, les deux associés se donnent l'apparence d'honnêtes ouvriers, tandis que la nuit, ils se livrent à des activités bien plus sinistres et profitables: la profantion de tombes, le vol de cadavres et le meurtre. Leur méthode est si méticuleuse et innovante, qu'elle s'inscrira plus tard dans les archives sous le label de Burking.
Burke et Hare choisissent leurs victimes parmi les déshérités qui errent dans la vieille ville d'Édimbourg. Afin de ne pas endommager les cadavres, les deux complices mettent au point leur propre technique d'étouffement qui consiste à comprimer la cage thoracique de leurs victimes. Au cours de l'année 1828, ils assassinent au moins 16 personnes et revendent les corps au docteur Knox qui les payent entre 8 et 14£ (9 et 16 euros environ). Les autorités sont finalement alertées par les étudiants de l'école de médecine après l'assassinat d'une certaine Mme Docherty. Ils ont, en effet, reconnu l'une des résidentes du quartier gisant sur leur table de dissection. Burke, qui connaissait la victime, est seul convaincu de meurtre. Par ailleurs, ses complices, William Hare et Maggie Laird, ont témoigné contre lui. Il est pendu le 28 janvier 1829 et, ironie de l'histoire, son corps est donné à une école d'anatomie puis exposé à l'Université de Médecine.

En 1895, à Philadelphie, le procès du Dr. Henry Howard Holmes (né Herman Webster Mudgett) révèle une affaire similaire qui bouleverse l'opinion publique. Il est aujourd'hui considéré comme le premier Serial Killer d'Amérique du Nord. Né dans le New-Hampshire en 1860, Herman Webster Mudgett developpe très tôt une fascination morbide pour la chirurgie. C'est néanmoins un esprit brillant qui décroche son premier diplôme à l'âge de16 ans puis entre à la Faculté de Médecine du Michigan. Il épouse Clara Loveringat, deux ans plus tard. Mudgett vole ses premiers cadavres au sein même du laboratoire universitaire, défigurant leurs visages afin de les faire passer pour des victimes d'accidents. En 1886, il se rend à Englewood, dans l'Illinois (sans son épouse) et se fait embaucher comme assistant dans la pharmacie du Dr. E.S. Holton. A cette date, il a déjà adopté sa nouvelle identité.
Holton succombe à un cancer à la fin de l'été et le Dr. Henry Howard Holmes prend logiquement sa suite. La veuve du docteur Holton accepte de lui vendre le bail à condition qu'elle puisse continuer d'occuper les appartements à l'étage. Holmes tarde à régler son du, si bien de Mme Holton menace d'intenter une action en justice... puis disparaît. Le docteur raconte à ses clients qu'elle a déménagé en Californie où elle espère se remettre de son veuvage. Désormais, le meurtrier a les mains libres et va pouvoir réaliser son grand projet: un vaste laboratoire d'anatomie qui ressemblera davantage à un château des horreurs. Là encore, le modus operandi est bien au point. Holmes aménage un labyrinthe de couloirs, de cabinets et des chambres qu'il loue à ses futures victimes. Dans le sous-sol de la pharmacie, il fait installer un réservoir d'acide, une table de dissection et un crématorim. Les premières proies sont Julia Connor et sa fille de trois, Pearl. Le corps de la jeune divorcée est revendu 200 000 dollars au Hahnemann Medical College. Ce prix s'explique par la taille inhabituelle de cette femme qui mesure plus d'un mètre quatre-vingt.
Au total, le médecin démoniaque assassine et démembre 37 personnes (hommes, femmes et enfants), sur lesquelles il prend parfois soin de contracter une assurance vie préalable. C'est ce qui va causer sa perte, et donné lieu à une véritable chasse à l'homme au terme de laquelle Holmes est arrêté à Boston, en octobre 1894. Lorsque débute le procès, le 28 mai 1895, le médecin n'est encore soupçonné que de fraude à l'assurance et du meutre de son ancien assistant, un certain Benjamin Pitezal. Au fil du temps, l'enquête menée par le détective Frank Geyer réserve une vérité bien plus morbide. Ce vétéran de la police de Philadelphie, remonte la piste du serial Killer jusqu'à Cincinnati, Detroit, Chicago et Toronto. A Englewood, une perquisition dans le sous-sol de la pharmacie, révèle le nombreux restes de cadavres humains et l'ampleur de l'horreur. Holmes est convaincu de meurtres et pendu le 7 mai 1896.

Dans la plupart des cas, fort heureusement, la ressurectionistes se contentaient de déterrer les cadavres dans les cimetières. Cette pratique existe dès le 18ème siècle mais au 19ème siècle un intense trafic de contrebande se développe, notamment entre l'Irlande, la Grande-Bretagne et l'Écosse. Selon le professeur Sylvio Leblond (1901-1990), spécialiste de l'histoire de la médecine, les écoles d'anatomie payent les corps entre deux et 14 guinés à Londres. Il évoque, par exemple, le témoignage du professeur James Macartney (1770-1843), professeur d'anatomie au Trinity Collège à Dublin. En 1828, il comparait devant la Chambre des Communes à Londres et raconte comment les étudiants irlandais se procurent du matériel de dissection. Déguisés de haillons et équipés d'un cercueil remplis de pierres, ils se rendent dans les cimetières, se mêlent aux cortèges funéraires et se débrouillent pour échanger les bières.
Le vol de cadavres a été pratiqué dans de nombreux autres pays comme la France (où les ressurectionnistes étaient appelés des Corbeaux) ou le Canada, et notamment dans la ville et la Province de Québec, ainsi qu'à Montréal. Dans un article intitulé Anatomistes et résurrectionnistes au Canada, le docteur Leblond a écrit : « Le Canadien du 10 février 1840 raconte qu'un cadavre en état de nudité complète, a l'exception d'un sac ou il était renfermé, a été trouvé ce matin dans une allée près du marché St-Paul. II paraît qu'il avait été enlevé au cimetière de l'Hôpital de la Marine et des Émigrés par des gens qui font métier de vendre des corps aux étudiants en médecine. On dit qu'il a été commis depuis quelque temps, un grand nombre des ces violations de sépulture dans différents cimetières de la ville et nous apprenons avec plaisir que Messieurs les marguillers ainsi que la police, offrent des récompenses pour l'appréhension de ceux qui exercent une industrie si révoltante. Le même journal annonce le 18 février 1843:"Avis aux étudiants en médecine: Après huit heures, au cimetière, on tire!".

On pourrait multiplier ainsi les exemples de médecins, étudiants, fossoyeurs, gangs et autres particuliers qui se sont livrés à ces macabres exactions. Le phénomène finit néanmoins par alerter le législateur et des mesures sont prises par les différents gouvernements pour y mettre fin (mais avec plus ou moins de succès). On a vu qu'à Londres, le 1er août 1832, la Chambre des Communes vote l'Anatomy Act, qui sera ensuite ratifié par la Chambre des Lords. Au Canada, le Medical Act ratifié en 1788, est complété en 1843 par une loi visant à réguler et faciliter l'étude de l'anatomie mais qui n'est pas appliquée. L'Acte d'Anatomie de 1883 oblige finalement les hôpitaux et hospices à remettre leurs morts non réclamés aux salles de dissection des écoles de médecine. Cependant, il faut encore attendre l'intervention du Cardinal Taschereaux pour que les vols de cadavres cessent au Québec. Aux États-Unis, la première loi régissant la pratique de l'Anatomie date de 1831. Elle est votée dans le Massachussets. En 1878, après l'Affaire Harrison (dont le tombeau a été profané), les autorités de l'Ohio aux États-Unis, sont inondées de pétitions qui les forcent à présenter un édit de régulation de l'étude anatomique. Il faut toutefois attendre 1881 pour que l'acte soit approuvé par une commission de révision au sénat.

Source: The Very Lucrative Business of Body Snatching par Kenneth Dillinger sur suite101.com

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