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William Shakespeare vs Tycho Brahe

Grâce à une courtoisie du professeur Peter Andersen de l'Université de Strasbourg, alias Vinilandicus, qui a bien voulu nous transmettre un résumé de ses travaux, cafeduweb poursuit son enquête dédiée à l'astronome danois, Tycho Brahe (1546-1601). Ces informations sont extraites de l'ouvrage de Peter Andersen, Kunstværket (Les oeuvres d'art), qui devrait être traduit prochainement en français et en anglais.

Depuis 2005, le professeur Petersen s'attache à démontrer que le roi Christian IV (1577-1648) était le véritable commanditaire du meurtre de Tycho Brahe (cf: Enquête sur le meurtre d'un des plus brillants astronomes de la Renaissance). Il a exposé sa théorie lors de plusieurs conférences dédiées à la renaissance danoise et, en 2008, il a révélé le contenu du journal d'Erik Brahe (1552-1614), cousin éloigné du fameux astronome et exécutant supposé du complot d'assassinat. Ses hypothèses ont été fort mal accueillies dans les milieux universitaires et notamment au Danemark où la thèse défendue est celle de la mort accidentelle. Début 2010, une équipe de chercheurs, dirigée par Jens Vellev, a toutefois obtenu l'autorisation d'exhumer le corps de Tycho Brahe pour procéder à de nouvelles analyses.

La maladie de Tycho Brahe a été décrite par trois de ses contemporains : Jan Jessenius (1566-1621) dans son oraison funèbre, Johannes Kepler (1571-1620) dans une note en annexe du journal d'observation de Tycho Brahe, et Johannes Wittich (1575-1641) dans un document demeuré inconnu jusqu'au milieu du 20ème siècle. Kepler et le docteur Jessenius font tous deux état d'une rétention d'urine. Le jeune médecin diagnostique, lui, un éclatement de la vessie. La première mention écrite de cette théorie paraît finalement en 1847 dans un ouvrage de l'anatomiste autrichien, Joseph Hyrtl (1810-1894). Elle n'est popularisée que bien plus tard, avec la parution de L'immortalité, le sixième roman de Milan Kundera. Selon l'écrivain d'origine tchèque, Tycho Brahe serait l'instigateur de sa propre mort puisqu'un ridicule excès d'amour propre (ou de lâcheté) l'aurait empêché de quitter la table d'un banquet pour se rendre au lieu d'aisance. En dépit de son talent incontestable, Milan Kundera n'est pas parvenu à convaincre le professeur Andersen. En vérité, c'est l'un des dramaturges les plus fameux de tous les temps qui lui a fourni les indices les plus probants. Il s'agit, comme vous l'avez sans doute déjà deviné, de l'incontournable William Shakespeare (1564-1616). C'est son héros, Hamlet, qui conduit l'historien danois sur la piste du meurtre prémédité... et d'un certain Horacio que le professeur Petersen identifie en la personne de Jon Jakobsen (c. 1555-1608), un humaniste danois proche de Tycho Brahe puis de Christian IV.

Shakespeare a écrit la tragédie d'Hamlet, prince du Danemark, quelques mois avant la mort de du pape de l'astronomie. Cette œuvre énigmatique est l'une des plus célèbres pièces du dramaturge anglais mais, aujourd'hui encore, les spécialistes ont bien du mal à s'accorder sur son interprétation. Tout le monde ou presque connait l'histoire. Le roi du Danemark est empoisonné par son frère Claudius qui usurpe le trône et épouse la reine Gertrude. Le défunt revient hanter le château d'Elseneur et demande à son fils, Hamlet, de le venger. Le jeune prince hésite puis décide de tendre un piège à Claudius et de simuler la folie. Pour démasquer son oncle, Hamlet invite une troupe de théâtre à la cour et lui commande de jouer une pièce intitulée Le meurtre de Gonzague. Il charge son ami Horacio d'épier les réactions du roi pendant la représentation. La pièce s'achève sur un duel à l'issue duquel Claudius et Hamlet meurent tous deux empoissonnés. Juste avant d'expirer, le jeune prince confie à Horacio la mission de raconter sa tragédie et exprime le souhait que le roi de Norvège, Fortinbras, hérite de son trône. Celui revient justement d'une campagne en Pologne. Les ambassadeurs entrent et annoncent l'exécution des deux messagers, Rosencrantz et Guildenstern, puis Fortinbras ordonne que les honneurs funèbres soient rendus à Hamlet.

A partir de 1996, le professeur d'astronomie, Peter D.Usher, a développé l'hypothèse que la pièce de Shakespeare pouvait être interprétée comme une allégorie de la dispute qui opposait Tycho Brahe à ses contemporains, et en particulier à Thomas Digges (1546-1595). Cet astronome fut le premier anglais à soutenir le modèle héliocentrique de l'univers, défendu par Nicolas Copernic. Peter Usher signale que Shakespeare connaissait la famille de Digges et qu'il a sans doute eut vent des travaux de Tycho Brahe. Selon le chercheur américain, l'usurpateur Claudius doit être assimilé à Claudius Ptolemaeus ou Ptolémée (90-168), l'astronome grec qui développa le modèle géocentrique de l'univers. Les personnages de Rosencrantz et Guildenstern personnifiaient quant à eux, le modèle hybride de Brahe. Enfin, la campagne de Pologne, évoquée dans la scène finale d'Hamlet, serait une référence à Nicolas Copernic et à la victoire de l'héliocentrisme sur le modèle de Ptolémée.

Le professeur Andersen remarque que l'interprétation de M. Usher colle assez bien aux faits historiques. Si on considère que Tycho Brahe a occupé officieusement la fonction royale pendant les huit années de régence, alors on peut penser que Shakespeare lui a donné les traits de Claudius. Christian IV, héritier du trône du Danemark, ne serait autre qu'Hamlet. Frederic II (1534-1588), quant à lui, apparaitrait sous le masque spectral du roi assassiné; tandis que Sophie de Mecklenburg-Güstrow (1557-1631), la mère du prince Christian, serait personnifiée par Gertrude.
En partant de l'hypothèse que Claudius est l'astronome Danois, alors on peut en déduire qu'Elsineur (Elsinore dans la version originale) est l'île de Hven et non la cité danoise d'Helsingør comme on le supposait jusqu'ici. Selon Peter Andersen, la description qu'en fait Shakespeare correspond en tout point. Le château de Claudius, situé sur un promontoire (the hill of h[ea]ven ; II,2) pourrait être une référence à Uraniborg. Une autre coïncidence est liée au personnage d'Horacio. Il s'agissait en effet du surnom de Jon Jakobsen (c. 1555-1608), un humaniste danois qui prétendait être né à Hven. On sait, par ailleurs, qu'il a rendu visite à Tycho dans les années 1590 et qu'il lui a dédié plusieurs poèmes. Après l'avènement de Christian IV, Jakobsen est devenu le mentor du jeune roi et a rompu toute relation avec le pape de l'astronomie (de la même façon qu'Horacio, dans Hamlet, se détourne de Claudius). Le poête danois s'est ensuite attaché à attirer de nombreux érudits à la cour, parmi lesquels des défenseurs de la théorie de l'héliocentrisme.
Le professeur Andersen ajoute que certains historiens suspectent la reine Sophie d'avoir entretenu une relation adultère avec Tycho Brahe. Le roi Christian IV serait le fruit de leurs amours interdits. Christian IV est-il ou n'est-il pas le fils de Tycho Brahe ? La célèbre question qu'Hamlet se pose à lui-même pourrait alors être un message codé et une référence à la possible filiation du roi danois : “T[ych]o B[rah]e or not T[ych]o B[rah]e” (III,1).

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  1. http://www.rtbf.be/info/societe/tcheques/exhumation-a-prague-de-la-depouille-de-lillustre-astronome-danois-tycho-brahe-27550
  2. http://laiciteetsociete.hautetfort.com/
  3. http://www.tychobrahe.org/forum/viewtopic.php?p=4079
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