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Jack l’Éventreur sous le microscope académique

L’affaire Jack l’éventreur (Jack The Ripper en anglais) a toujours fasciné le grand public, ainsi qu’en témoignent le grand nombre d’associations, comme la Whitechapel Society, et de sites Internet, à l’instar du JTR Forums et Casebook. Depuis deux décennies, les universitaires de différentes disciplines, historiens, sociologues, médecins ou criminologues, s’y intéressent également. Leurs différentes approches seront présentés, les 28 et 29 octobre prochain, dans le cadre d’un séminaire organisé par la Drexel University à Philadelphie et intitulé Jack the Ripper Through a Wider Lens (littéralement Jack L’Éventreur à travers une large loupe).

A cette occasion Paula Marantz Cohen, professeur d’anglais à Drexel et co-organisatrice de l’évènement, a publié un article dans le Chronicle dans lequel elle donne un aperçu des thématiques qui seront abordées et qui fait le bilan des recherches menées sur le sujet.

Pour comprendre l’intérêt du cas Jack l’éventreur, il est nécessaire de rappeler les faits, tel que nous les connaissons aujourd’hui. Entre les mois d’août et novembre 1888, cinq femmes (des prostituées, selon les rapports de police) ont été sauvagement assassinées dans le quartier déshérité de Whitechapel, situé à l’est de Londres. Les victimes (Polly Nichols, Annie Chapman, Elizabeth Stride, Catherine Eddowes, et Mary Kelly) ont été égorgées puis éviscérées post-mortem (sauf dont le cas de l’assassinat d’Elizabeth Stride où le criminel a sans doute été interrompu) avec une brutalité croissante au fil du temps. Les cinq meurtres se caractérisent par un Modus Operandi similaire, si bien que les spécialistes les désignent sous le terme de "canoniques". Ce point est d’autant plus important, que les détectives amateurs relèvent de nombreux crimes dits "non-canoniques" mais qui pourraient être de la même main. Par exemple, certains "Eventrologues" (Ripperologists en anglais) affirment qu’il faut ajouter au palmarès sanglant le meurtre d’Emily Dimmock à Camden Town, le 11 septembre 1907 ; tandis que les autres sont persuadés que Jack L’Éventreur a quitté l’Angleterre après les massacres de Whitechapel et que des meurtres perpétués en Amérique du Sud portent sa signature.
En plus des crimes proprement dit, il y a une abondance de correspondances et de messages codés que le premier serial killer de l’histoire aurait envoyé à la police et à la presse. Certaines lettres sont signées Jack l’Éventreur et font références à des détails macabres liées aux crimes. Les plus connues sont celles appelées « Dear Boss» (Cher patron) et « From Hell » (De l’enfer). La première lettre fait allusion à l’intention du criminel de couper les oreilles de sa prochaines victimes, qui ont en effet été sectionnées. Le second document est accompagné d’une portion de rein qui, selon l’auteur, appartiendrait à sa dernière victime, dont le l’organe a effectivement disparu. En dépit de ses coïncidences troublantes, aucunes de ses lettres ne peuvent être attribuées avec certitude au meurtrier de Whitechapel. Les informations qu’elles contiennent ont pu être obtenues par n’importe quel canal. Elles font pourtant parti du folklore qui entoure l’affaire Jack L’Éventreur.

Les premiers travaux académiques consacrés à l’affaire datent de la fin des années 1980. En 1987, Martin Fido, alors professeur à Oxford (aujourd’hui professeur à l’Université de Boston) publie un essai intitulé The Crimes, Detection and Death of Jack the Ripper (Les crimes, la détection et la mort de Jack l’Éventreur). Un an plus tard, Christopher Frayling, anciendiant à Cambridge et directeur du British Film Institute, réalise un documentaire, Shadow of the Ripper (L’ombre de l’Éventreur) pour la BBC. Depuis les ouvrages universitaires abordent le cas de Jack L’Éventreur sous divers angles disciplinaires. Parmi les livres les plus récents, on peut citer ceux de Drew D. Gray, London's Shadows: The Dark Side of the Victorian City (Les ombres de Londres: la face sombre de la cité victorienne), paru chez Continuum en 2010; ainsi que l'ouvrage de Judith Flanders, The Invention of Murder: How the Victorians Revelled in Death and Detection and Created the Modern Crime (L'invention du meurtre: comment les Victoriens ont inventé le crime moderne) chez HarperPress en 2011. Le professeur Gray, un historien de l’Université de Northampton, s’est attaché à relever et corriger toutes les erreurs véhiculées au fil du temps et qui embrouillent notre vision de l’affaire. Mme Flanders, écrivain et journaliste, aborde le cas de Jack l’Eventreur dans une réflexion plus large autour de l’évolution de la criminologie, en tant que science, au 19ème siècle. Enfin, on peut mentionner la parution d’une anthologie de textes et d’articles universitaires, sous la direction d’Alexandra Warwick et de Martin Willis, intitulée Jack the Ripper: Media, Culture, History (Jack L'Eventreur: Media, Culture, Histoire) publié par Manchester University Press en 2008.

L’un des points essentiels abordés au cours du congrès des Eventrologues, en octobre prochain, sera le contexte social de l’affaire Jack L’Eventreur. Cet axe de recherche sera l’objet d’une conférence de Judith Walkowitz, auteur d’un essai intitulé City of Dreadful Delight:Narratives of Sexual Danger in Late-Victorian London (La ville des plaisirs monstrueux: récits du danger sexuel à Londres à la fin de l 'époque victorienne) publié aux Presses Universitaires de Chicago en 1992. Elle y abordera plusieurs aspects de la condition féminine à l’époque des meurtres de Whitechapel. En effet, l’historienne britannique qui enseigne actuellement à la Johns Hopkins University à Baltimore, avance la thèse selon laquelle les meurtres de Jack l’Éventreur ont favorisé une prise de conscience accrue de la société victorienne et ont poussé les femmes à se mobiliser davantage pour améliorer leur statut, notamment au sein de la classe moyenne. Andrew Smith, maître de conférences à l’Université de Glamorgan au Royaume-Uni, quant à lui, considère que le cas de Jack l’Éventreur a largement influencé l’étude des maladies mentales et des comportements déviants. Il est l’auteur d’un livre intitulé Victorian Demons: Medicine, Masculinity and the Gothic at the Fin-de-Siècle (Démons victoriens: Medecine, masculinité et le gothique Fin-de-Siècle) chez Manchester University Press en 2004.
Une autre série de conférences abordera la question de l’antisémitisme au 19ème siècle, et en particulier dans le cas de l’enquête sur Jack L’Éventreur. En effet, plusieurs membres de la communauté juive figurent parmi les premiers suspects. Cela n’a rien d’étonnant puisque la société britannique est alors gangrénée par l’antisémitisme. Le quartier de Whitechapel, peuplé en grande majorité par de pauvres immigrants, accueillent à l’époque de nombreux Juifs. Or, après le meurtre de Catherine Eddowes, la police retrouve sur un mur, près de la scène de crime, un message formulé ainsi : "The Juwes are the men who will not be blamed for nothing" (approximativement : les Juifs ne seront blâmés pour rien). Ceux qui parlent anglais auront noté la faute d’orthographe au mot « Juifs » (Jews). De fait, les rumeurs sur une hypothétique conspiration juive commencent à enfler. Le professeur Sander Gilman, psychiatre à l’Université d’Atlanta, traite justement de antisémitisme dans le cas de Jack l’Éventreur. En 1993, il a publié un ouvrage The Jew's body (Le corps juif) dont l'un des chapitres, The Jewish Murderer: Jack the Ripper, Race and gender, (Le meurtrier juif: Jack L’Éventreur, Race et Genre) traite le cas de Jack L’Éventreur. Sara Blair, du département de Langue et Littérature à l'Université du Michigan, pour sa part, est l'auteur d'un article intitulé Henry James, Jack the Ripper, and the Cosmopolitan Jew (Henry James, Jack L’Éventreur et le juif cosmopolite) paru dans la revue scientifique ELH en 1996.
Parmi les nombreux sujets abordés au cours du congrès, il y a aura également celui de la dichotomie entre l'East et le West End. Les traffics entre ces quartiers ont fasciné l'imagination du grand public. L'une des théories avancées est celle d'un complot élaboré visant à protéger la réputation du duc de Clarence (1864-1892), le petit fils de la reine Victoria (1819-1901), dont on prétend qu'il aurait fait un enfant à une prostituée. Ce scénario donne un rôle important à l'artiste anglais Walter Sickert (1860-1942). C'est en partie à cause du témoignage de son fils, qui s'est retracté plus tard. A l'instar de James Whistler (1834 - 1903), Walter Sickert emploie des modèles issues des quartiers pauvres de Londres. Il possède un atelier dans l'East End et fréquente les Music Hall. La fascination des peintres pour le morbide a été traité par Jean-Michel Rabaté, professeur en sciences humaines à l'Université de Pennsylvannie, dans un ouvrage intitulé Etant donnés : 1° l’art, 2° le crime – La modernité comme scène du crime, publié en anglais par Sussex Academic Press en 2006 et en français aux Presses du Réél en 2010. Dans cet essai, qui aborde l'affaire Jack L’Éventreur, l'auteur s’intéresse au lien entre éthique et esthétique et le place dans le contexte de l'ouvrage de Thomas de Quincey (1785-1859), De l'Assassinat considéré comme un des Beaux-Arts. Cet essai peut être rapproché de la satirique perverse de Jonathan Swift (1667-1745), Humble Proposition, publiée en 1729. Pour revenir à Walter Sickert, le romancière américaine, Patricia Cornwell (qui a travaillé comme d'informaticienne à l'Institut médico-légal de Richmond en Virginie), tente de démontrer la culpabilité du peintre dans son Jack l'Eventreur, affaire classée. Outre les tests d'ADN et les analyses graphologiques, Patricia Cornwell s'est minutieusement penchée sur les toiles de Walter Sickert pour y dénicher des indices compromettant.

Dans l'affaire Jack L'Eventreur, les connections entre le monde de l'art et le milieu universitaire sont fréquentes. Ainsi, en septembre dernier, une anthropologue du département de Medecine légale de l'Université de Dundee, le Dr Xanthe Mallett, apparait dans une émission de la BBC, le National Treasures Live, où elle se penche sur la théorie de Trevor Marriott, un ancien detective et auteur d'un livre intitulé Jack The Ripper: 21st century investigation (Jack L'Eventreur: l'enquête du 21ème siècle). Selon lui, le meurtrier de Whitechapel serait un marchand allemand nommé Carl Feigenbaum. Le Dr Xanthe Mallett ne figure pas dans le programme de la conférence d'octobre prochain. En revanche, les organisateurs ont annoncé l'intervention de John Maxwell, ancien inspecteur en chef du bureau de Philadelphie et membre de la Vidocq Society. Cette association s'est donné pour objectif de résoudre des affaires classées depuis longtemps. Si on en croit l'article de Paula Marantz Cohen, Monsieur Maxwell devrait faire de nouvelles révélations sur l'affaire Jack l'Eventreur.



Images:
1, From Hell (2001) d'Albert et Allen Hughes avec Johnny Depp dans le rôle de l' Inspecteur Fred Abberline
2, Portrait robot de Carl Feigenbaum, l'un des suspects dans l'Affaire Jack L’Éventreur selon Trevor Marriott
3, Walter Sickert (1860-1942), The Camden Town Murder, vers 1908. New Haven, Yale Center for British Art

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