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Le Négus - Ryszard Kapuscinski

Les éditions Champs Flammarion rééditent Le Négus (septembre 2011, 228 pages) et Le Shah (septembre 2011, 241 pages), les deux œuvres majeures du journaliste polonais Ryszard Kapuscinski (1932-2007), au moment où sort en France la biographie d’Artur Domoslawski, Kapuscinski, le vrai et le plus que vrai (Les Arènes, septembre 2011, 543 pages).

Ce livre, sorti l’an dernier en Pologne (sous le titre Kapuscinski Non-Fiction), vient quelque peu ternir la réputation de ce Grand reporter, souvent comparé à Albert Londres ou Joseph Kessel. Le journaliste polonais, qui aurait assisté à 27 coups d’état au cours de sa carrière, est maintenant accusé d’avoir truqué la vérité, franchissant allègrement la frontière entre réalité et fiction.

Le Négus, récit de la chute du dernier empereur d’Ethiopie Hailé Sélassié Ier (1892-1975) en septembre 1974, est en effet un chef d’œuvre de reportage littéraire. Aidé d’un ancien représentant du régime, Ryszard Kapuscinski aurait sillonné Addis-Abeba et débusqué les personnalités qui auraient survecu à la Révolution pour leur extorquer des interviews hautes en couleurs. Le livre est donc constitué de témoignages successifs sur cette époque révolue où le roi des rois, dernier représentant de la dynastie salomonide régnait en maître absolu sur son pays. A travers ces conversations, souvent surréalistes (les serviteurs du Négus lui étant restés fidèles même après sa mort), Kapuscinski dresse le portrait d’une société sclérosée, corrompue, inégalitaire et totalement éloignée du monde moderne. Les passages consacrés à la vie au palais sont particulièrement emblématiques, de même que ceux dédiés aux prémices de la révolte étudiante.

Pages 52-53
« Z.T:
A l'heure des Nominations, sa Majesté voyait devant elle, la tête inclinée de celui qu'elle avait promu à une haute dignité. Mais malgré sa perspicacité, le regard de sa Magnanime Majesté ignorait ce qui allait advenir de cette tête. Exécutant des mouvements de bas en haut tant qu'elle était dans la salle des Audiences, la tête se redressait brusquement une fois qu'elle avait franchi la porte pour se figer dans une posture altière et déterminée. Oui, mon bon Monsieur, telle était effectivement la puissance époustouflante de la nomination impériale ! Sous l'effet de la bénédiction royale, cette tête, d'ordinaire habituée à remuer avec naturel et liberté, souplesse et décontraction, à pivoter, s'incliner, se pencher et se ployer, se trouvait désormais réduite à un mouvement mécanique dans deux sens uniquement, vers le bas quand elle se trouvait face à sa Majesté, vers le haut quand elle se trouvait face aux autres. Réglée sur cet axe vertical, sur ce mouvement à sens unique, elle ne pouvait plus tourner à sa guise (…) »

Pages 97-98
« A.W.:
(…) Ils se mirent à rapporter que Germame acceptait des pots-de-vin et qu'avec ces pots-de-vin il faisait construire des écoles. Imaginez un peu le désarroi des Notables ! Il va de soi qu'un gouverneur est là pour accepter des cadeaux, comme tous les Notables d'ailleurs. Le pouvoir rapporte de l'argent, il en est ainsi depuis la nuit des temps. Mais là, on avait affaire à une anomalie: le gouverneur redonnait les cadeaux reçus pour faire construire des écoles. Tout acte au sommet étant perçu, par les subordonnés, comme un exemple à suivre, cela voulait dire que tous les notables devaient redonner leurs cadeaux pour faire construire des écoles ! Laissons-nous aller un instant à des pensées indignes et supposons que, dans une autre province, un autre Germame se mette à distribuer ses pots-de-vin. Aussitôt, les Notables se révolteraient contre cette pratique, et on aboutirait à la fin de l'Empire. Belle perspective ! Au début quelques sous, et pour finir, la chute de la monarchie ! Non, décidément non ! Tout le monde au Palais était opposé à ces agissements. (...) »

Il suffit de lire Le Négus pour deviner que Kapuscinski n’a pas strictement retranscris les propos de ses interlocuteurs. Il a en sans doute conservé l’essence, le fond historique, mais les a modifiés pour mieux frapper son lecteur. Et si les évènements relatés n’étaient pas si tragiques, on serait bien tenté d’en rire. Le journaliste a-t-il menti en forçant le trait ? Doit-on considérer Le Négus comme une œuvre de fiction ? C’est toute la question. A ce sujet, on lira avec profit la longue préface de l'historien Christophe Brun.

Pour ma part, je continue de penser que Le Négus est un classique du genre et qu’il a sa place dans toutes les bibliothèques d’amateurs de récits journalistiques. A ceux qui ne l’auraient pas encore lu, je recommande également Mes voyages avec Hérodote, un récit biographique et littéraire passionnant.

Le Négus de Ryszard Kapuscinski (Champs Flammarion, septembre 2011, 228 pages)

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