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Shakespeare était-il Shakespeare? Telle est la question qui dérange... encore!

Dissimulé dans lieu rarement visité, le mémorial de l'église Sainte Marie à Warwick est un monument imposant quelque peu incongru dans le cadre qui l'accueille. Peu de touristes la visitent : peut-être quelques milliers chaque an. Une poignée d'entre eux ont sans doute entendu parler de son propriétaire, Fulke Greville (1554-1628). Cet aristocrate érudit, qui fut tour à tour espion et homme d'état, est aujourd'hui au cœur d'un mystère qui secoue le monde universitaire. Ami de Sir Philip Sidney, il était aussi un écrivain accompli... si talentueux qu'on le soupçonne d'être l'auteur de plusieurs pièces de Shakespeare.

Depuis le 19ème siècle, un débat acharné oppose les sulfureux Oxfordiens (persuadés qu'un homme aussi peu instruit que William Shakespeare ne pouvait avoir écrit des œuvres aussi remarquables) aux Stratfordiens indignés, pour qui l'identité et le génie de Shakespeare ne font aucun doute. La polémique s'est enflammée en mars 2009, après l'annonce de la découverte du seul portrait de Shakespeare réalisé de son vivant, pour repartir de plus belle ces jours-ci. Il semblerait en effet qu'une nouvelle piste se profile grâce à une série d'indices dissimulés dans l'œuvre de Greville et dans le monument de Warwick. Un historien, quelque peu influencé par les travaux romanesques de Dan Brown, prétend détenir la preuve irréfutable que Greville avait caché des manuscrits dans son mémorial, parmi lesquels un exemplaire d'Antoine et Cléopâtre.
Selon Richard Price, journaliste du Daily Mail, il ne s'agit pas là de simples spéculations. Une radioscopie du monument, situé dans la collégiale Ste-Marie, aurait montré l'existence de trois objets ressemblant à des boîtes scellées. Cette nouvelle a retourné le monde universitaire et d'aucuns pensent qu'on y exhumera les originaux des pièces de Shakespeare ainsi qu'une biographie inédite de Jacques 1er Stuart (1603-1625).
James Stevens Curl, professeur à l'Université de Cambridge et spécialiste de l'histoire de l'architecture, est lui-même convaincu. Cette théorie fournit en effet une explication plausible à la démesure du monument : sa taille et sa magnificence semblent destinées à attirer l'attention. En dépit du soutient du docteur Curl, l'ouverture du monument s'est heurtée à une forte opposition des spécialistes. Warwick Rodwell, archéologue à l'abbaye de Westminster, dirige les recherches. Son équipe envisage de réaliser une endoscopie dans quelques semaines. Il s'agit d'introduire une minuscule camera, à l'exemple de celles employées en chirurgie, dans le caveau. Les chercheurs ont déjà obtenu l'autorisation du diocèse. L'opinion publique, en revanche, continue de s'interroger sur les motivations de ces experts qui les poussent à profaner une tombe. Justement, pourquoi s'intéressent-ils tant à Fulke Greville ?

Lord Brooke, Fulke Greville, est né en 1554 à Stratford soit 10 ans avant la naissance officielle de William Shakespeare. Il occupe successivement plusieurs fonctions prestigieuses dont celles de juge, amiral de marine ou capitaine d'armée. Membre de la noblesse britannique, il voyage à travers toute l'Europe, recrutant des espions à la solde de la couronne anglaise. Cavalier hors pair et favori de la reine Élisabeth, il est nommé Chancelier au Ministère des Finances sous Jacques Ier.
Si on en croit les biographes du 17ème siècle, Fulke Greville aurait déclaré en 1628, peu avant sa mort, qu'il voulait être reconnu comme le véritable maître de William Shakespeare. C'est sur ce crédit que l'historien A.W.L. Saunders s'est lancé dans une enquête minutieuse voilà 10 ans. Dans un ouvrage intitulé The Master Of Shakespeare (Le maître de Shakespeare), M. Saunders établit des parallèles exhaustifs entre la vie et l'œuvre de Greville et celles de Shakespeare. Ils vivaient dans la même rue, fréquentaient les mêmes cercles littéraires et partagaient les mêmes amitiés (parmi lesquelles Christopher Marlowe et Francis Bacon) ou inimitiés. Partant du fait que la population masculine de Stratford-upon-Avon ne dépassait pas 600 personnes, l'historien estime que les chances pour que deux profils coïncides avec autant d'accointances sont faibles voire inexistantes.
Tous ces éléments viennent renforcer les théories des Anti-Stratfordiens. Pour eux, le provincial William Shakespeare ne possédaient ni les compétences linguistiques, ni l'érudition, ni la sensibilité artistique des œuvres qu'il signait. Ces qualités ne pouvait se trouver que chez un gentleman éduqué, cosmopolite et polyglotte... comme Fulke Greville, par exemple. Pour un homme tel que lui, l'écriture ne pouvait être qu'un passe temps et il aurait pu user du pseudonyme de Shakespeare pour protéger son honneur.
Selon John Mitchell, auteur de Who Wrote Shakespeare? (Qui a écrit Shakespeare?), il n'existe aucune preuve que Shakespeare était l'auteur des pièces qui lui sont attribuées. Les archives montrent que William Shakespeare était un homme d'affaire local, vivant des produits de la terre. Dans son testament, il ne fait mention d'aucune œuvre et ne se présente pas comme écrivain. Toutefois, jusqu'à aujourd'hui, rien ne permet non plus d'affirmer avec certitude qu'il n'était pas l'auteur de ses pièces de théâtre. C'est la raison pour laquelle, les hypothèses liées au monument de Greville causent tant d'émois, conclut John Mitchell.
Fulke a dépensé l'équivalent de 300 000£ aujourd'hui (environ 345.000 euros) pour l'édification de son mémorial. Sachant que sa sépulture se trouve sous la crypte de l'église et non à l'intérieur du monument, cela semble une somme astronomique pour un lieu vide.
Dans ses œuvres, Greville écrit clairement qu'il est l'auteur d'Antoine et Cléopâtre et qu'il lui a donné un écrin éternel à sa mesure. Les chercheurs pensent également que le gentleman britannique était un membre éminent de l'ordre de la Rose Croix, voire son Grand Maître. Or, nous dit le professeur Saunders, une épée placée sur le monument de Warwick porte les symboles de cette société secrète. William J. Briere, un cryptologue américain, a étudié le mémorial de près. Selon lui, l'inscription de Gréville ("Folk Grevill Servant to Queen Elizabeth Conceller to King James Frend to Sir Philip Sidney. Trophaeum Peccati.") est plutôt inhabituelle et pourrait être un indice destiné à attirer l'attention. L'expert américain prétend même qu'il s'agit d'un code complexe, révélant la phrase suivante: 'CONCEALED (IN THIS) MONUMENT (IS THE) SIN (OF THE) KING.' (littéralement: caché dans ce monument se trouve, les pêchers du roi). Il s'agirait d'une référence à la biographie interdite de Jacques 1er. Grâce à une méthode de décryptage alpha-numérique, M. Briere aurait également trouvé des références aux Sonnets de Shakespeare sur le même monument. Pour soutenir ces allégations, les anti-Stratfordiens s'appuient sur l'œuvre littéraire de Shakespeare. Une pièce comme La Tempête prouve que son auteur avait une connaissance solide de la philosophie Rosicrucienne.

Tout ceci semble bien romanesque et digne d'une théorie du complot à la Dan Brown. Pourtant, même les plus sceptiques des universitaires semblent s'accorder sur la nécessité d'une investigation plus poussée. Le Dr William Leahy, qui dirige le département d'étude shakespearienne à l'Université de Brunel, rappelle que les chercheurs ont déjà procédé à des ouvertures de tombes dans le passé mais qu'elles n'ont jamais rien donné. Il ajoute, cependant, qu'on ne peut émettre aucun jugement définitif avant d'avoir procédé à des analyses.
Au vu de ces interminables débats, une question semble rester en suspend. Si Fulke Greville souhaitait voir son secret révélé pourquoi avoir imaginé tant de subterfuges compliqués pour le protéger ? Mais les Anti-Stratfordiens ont réponse à tout. Selon eux, Fulke Greville n'aurait pas eu le temps de mettre la totalité de son plan à exécution. La mort l'aurait surpris avant. Le 30 septembre 1628, il fut en effet assassiné par son domestique, un certain Ralph Haywood. Le motif du crime reste un mystère puisque M. Haywood servait loyalement son maître depuis de longues années. A-t-il découvert qu'il ne figurait pas dans son testament ? C'est en tout cas la raison qui a été évoquée. Fulke Greville n'avait pas d'héritiers et, l'outrage du temps faisant son œuvre, il finit pas disparaître de la mémoire collective. L'histoire, aussi ingrate soit-elle souvent, permettra-t-elle de le réhabiliter quelques 400 ans après sa mort ? Autrement dit : Dan Brown et William Shakespeare font-il bon ménage? Pour l'instant, la réponse dépend de votre penchant pour la littérature classique ou le roman de gare.

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